La pierre de savoir fut d’abord confiée au Conseil des Sages, dans la salle basse du temple. Nul ne savait d’où elle venait. Aucun artisan n’en revendiquait l’ouvrage, aucun manuscrit ne la décrivait. Pourtant, lorsqu’on l’approchait, quelque chose changeait — comme une vibration sourde dans le sternum, un frisson dans la moelle.
Ce fut Mael'Zhen qui, le premier, tenta de l’écouter. Il entra seul et s’assit face à elle. Il la toucha.
Ce qu’il vit, il ne put jamais le raconter pleinement. Il parla de voix éteintes venues du sable, d’un arbre qui saignait de la lumière, d’un mot ancien gravé dans le ciel. Il nota les effets, consigna les symboles, mais refusa d’y retourner.
Le Conseil fut convoqué.
La grande salle était froide. Les Sages, drapés de silence, formaient un cercle. La pierre reposait sur un piédestal de cendre noire.
— Elle ne doit pas rester ici, déclara le Haut Mémoire. Elle est l’écho d’un temps que nous avons renié. Qu’on l’enferme. Qu’on l’oublie.
Mael'Zhen s’avança d’un pas.
— Ce que nous refusons d’écouter n’en devient pas moins vrai. Cette pierre parle. Elle sait. Elle ne ment pas.
— Tu parles comme un croyant, répliqua le Haut Mémoire. Ce n’est pas notre voie.
— Je parle comme un témoin. Et l’enfant l’a entendue. Nous devons comprendre.
Mais la décision fut prise. Elle serait scellée dans l’Arcanum, enfouie sous les douves de Zeltania. Interdite. Effacée.
Et Aetheltan, assis dans l’ombre, ne dit rien. Mais déjà, il retenait tout.
Elle fut enfermée.
Mais une nuit, alors que le Conseil méditait, Aetheltan pénétra dans l’Arcanum. Il connaissait les clefs. Il connaissait surtout l’appel muet que la pierre lui adressait.
Il la reprit.
Il la serra contre sa poitrine.
Et dans le corridor interdit, il sentit non un souvenir… mais une volonté.
« Toi seul entends, car toi seul as la mémoire du silence. »
« Je suis Argone. J’ai quitté le ciel. On m’a banni pour avoir vu trop loin. Mais à travers toi, je reviens. »
« Tu seras conquérant. Non par la force, mais par l’oubli. »
« Tu joueras le jeu des Sages. Et ton fils, né à Shael’Thor, deviendra leur prince. »
Et Aetheltan grandit dans l’ombre d’un père oublié.
Quelques jours plus tard, Mael'Zhen, incapable d’oublier, retourna dans les couloirs interdits. Il força l’accès de l’Arcanum.
La pierre avait disparu.
Il alerta le Conseil.
— J’ai désobéi, oui. Mais c’est pour vous avertir : la pierre n’est plus là ! Quelqu’un l’a volée !
— Quelqu’un, ou toi ? répondit sèchement le Haut Mémoire.
— Je vous le jure par le Souffle, ce n’est pas moi !
Mais nul ne le crut. Le Conseil le jugea. Et l’enfant, silencieux, assista à la chute de son protecteur.
— Tu as défié notre loi, Mael'Zhen. Tu seras écarté du Conseil.
— Alors que vous condamnez un savoir vivant à l’oubli…
Et dans les couloirs, Argone murmurait encore.
« Je suis le souffle qu’ils ont voulu taire. »La pierre était restée posée sur la paume d’Aetheltan longtemps après que les Sages se furent retirés. Nul ne savait d’où elle venait. Aucun artisan n’en revendiquait l’ouvrage, aucun manuscrit ne la décrivait. Pourtant, lorsqu’on l’approchait, quelque chose changeait — comme une vibration sourde dans le sternum, un frisson dans la moelle.
Aetheltan, lui, poursuivait ses études. Il méditait, récitait, marchait dans les couloirs comme un modèle d’enfant zeltan. Il ne contestait rien. Il parlait peu. Il réussissait tout.
— Il sera l’un des nôtres, disaient les Sages.
Mais il n’était déjà plus l’un des leurs.
Argone parlait en lui. Dans la pierre cachée, enfouie sous une dalle qu’il avait lui-même déplacée, l’ancien dieu tissait une présence. Ce n’était pas une voix constante. C’étaient des élans, des visions, des mots qui venaient comme des instincts.
« Ne cherche pas à les convaincre. Gagne leur confiance. Deviens le centre de leur ordre. Et quand ils baisseront la garde, tu choisiras ce qu’il doit rester. »
Dans les silences de la nuit, Aetheltan rêvait de Shael'Thor. D’un désert vibrant, d’une capitale de pierre vive. D’un trône brisé où reposait un enfant à la peau claire et aux yeux gris — son fils, disait Argone, un héritier d’avenir.
« Il portera ton nom, et le mien. Il sera prince parmi les fidèles. Et toi, tu seras plus qu’un roi. Tu seras l’oubli des dieux. »
Un soir, alors que la salle des tracés était vide, Aetheltan traça dans la poussière un symbole interdit. Un glyphe ancien. Pas une rune zeltane. Une spirale inversée, entourée de trois points.
Un apprenti l’aperçut, recula, alerta les Sages.
Mais le glyphe avait disparu. Et Aetheltan méditait en paix, immobile, parfait.
On ne put le réprimander. Il n’y avait pas de preuve.
Le Haut Mémoire se pencha vers lui ce soir-là.
— Tu grandis bien, Aetheltan. Tu fais honneur à notre silence.
Et le garçon baissa humblement la tête.
Mais sous ses paupières closes, Argone riait.