Au seuil de sa huitième Legacy, Aetheltan entrait dans une phase que les Sages nommaient l’épreuve du Souffle — un rite ancien réservé aux enfants dont l’esprit ne se plie pas mais s’élève. Peu d’élus franchissaient cette étape. Non pas parce qu’elle était périlleuse, mais parce qu’elle exigeait de renoncer à toute image préconçue de soi.
Les Sages, fidèles à leur pacte de mémoire, n’imposaient ni croyances, ni dogmes. Ils guidaient, observaient, notaient. Ils questionnaient plus qu’ils ne répondaient. Et dans ce silence organisé, Aetheltan grandissait. Non pas en force, mais en profondeur.
Jamais il ne riait. Jamais il ne jouait. Ce n’était ni cruauté, ni indifférence : mais tel était l’équilibre des enfants zeltans, forgés dans le devoir, tempérés dans la neutralité. L’amour n’était pas absent, mais il était bridé. L’affection, contenue. Chaque regard était une instruction. Chaque silence, une attente. Dans ce climat froid mais juste, l’enfant avançait comme sur un fil tendu entre discipline et solitude.
Le matin de l’épreuve, Elyra'Nae lui remit une simple étoffe grise, marquée de trois runes anciennes : Ka’rel, Athyir et Thazir — voyage, voie, mémoire. Ces trois runes formaient un triptyque fondamental dans la culture zeltane. Ka’rel n'était pas qu'un voyage physique, mais une traversée intérieure, un ébranlement de l’être. Athyir représentait le tracé invisible du destin, la ligne qu'on ne choisit pas mais qu’on apprend à lire. Thazir, enfin, portait la mémoire vive, la mémoire agissante — celle qui façonne et qui juge.
Puis elle se pencha vers lui, effleurant son front du bout des doigts.
— Tu n’as rien à prouver, souffla-t-elle. Mais tout à retrouver.
Il ne répondit pas. Ses yeux restaient fixés vers l’horizon, là où les falaises de Zeltania se perdaient dans les brumes d’Irkay.
Orun'Thal attendait au pied du Chemin des Ventres Creux — un défilé étroit creusé dans la montagne, où les sons se perdaient et les pensées résonnaient. Il ne s’approcha pas, se contentant d’un signe de tête lorsque l’enfant parut.
— Ce que tu chercheras, tu ne le trouveras pas. Ce que tu oublieras, tu l’éveilleras.
Aetheltan descendit sans un mot. Et le silence s’installa, non comme un vide, mais comme un pacte.
Durant trois jours et trois nuits, nul ne revit le garçon.
Le quatrième matin, alors que les vents du sud s’engouffraient dans les arches du temple, un souffle nouveau les traversa. Ce n’était ni le vent d’Argone, ni celui d’Irkay. C’était une pulsation, faible mais continue, venue des entrailles de la roche.
Mael'Zhen ouvrit les yeux dans la salle des tracés — une pièce circulaire où chaque mur portait les motifs ondulants de la géométrie sacrée. Là, les lignes s’animaient au rythme de la respiration, synchronisant l’esprit à la résonance minérale. C’était un lieu d’alignement, non de vérité.
— Il revient, murmura-t-il.
Et tous, sans mot dire, descendirent vers la Vallée des Échos — une gorge naturelle où les sons ne mouraient jamais tout à fait. Les mots, les cris, les chants y persistaient, absorbés puis relâchés des cycles plus tard, comme des reflets d’âme. Les Zeltans ne vénéraient pas les dieux : ils s’étaient liés au souvenir du monde, et c’est dans cette vallée que s’enregistraient leurs serments.
Il était là. Debout, au centre du cercle d’obsidienne — un artefact ancien, forgé bien avant l’histoire. L’obsidienne, taillée en anneaux concentriques, vibrait à une fréquence inaudible. Chaque anneau activait, selon la position du corps, une mémoire latente enfouie dans les couches ancestrales de l’inconscient collectif. On disait qu’il avait été bâti par ceux qu’on appelait jadis les Porteurs du Feu — les derniers exilés croyant encore aux dieux
Les pieds nus, le regard clair. Il ne tremblait pas. Sur sa paume ouverte, une pierre taillée qu’aucun Sage ne reconnut.
— Qu’est-ce ? demanda Elyra'Nae, d’une voix basse.
— Ce n’est pas un objet, répondit Aetheltan. C’est un souvenir.
Un long silence suivit, traversé par un sifflement léger.
Puis Mael'Zhen parla.
— Alors nous devons apprendre à écouter autrement.