C’est à l’aube que Zeltania révèle pleinement son âme. Aux premières lueurs, une brume laiteuse recouvre les dômes de bronze et d’or, caressant les flèches de verre des temples où se murmure encore la prière du matin. Chaque ruelle est une veine palpitante, gorgée d’arômes épicés, de murmures feutrés et de rires étouffés derrière des rideaux de soie. Ici, rien n’est hâtif. Tout semble guidé par un tempo ancien, réglé sur les battements d’un cœur invisible.
Orun'Thal s’avança vers le balcon sculpté qui dominait la Grand-Place des Sages. La ville s’étendait devant lui, étincelante, baignée dans une lumière délicate.
— Regarde, Mael'Zhen, murmura-t-il en s’écartant légèrement pour laisser la vue à son ami. Elle respire encore le mystère.
Mael'Zhen, les bras croisés sur la poitrine, inclina doucement la tête, contemplatif.
— Chaque matin, je la redécouvre. Comme si elle se recréait durant la nuit. Zeltania n’est jamais tout à fait la même.
Dans les rues sinueuses en contrebas, les habitants commençaient déjà leur lente chorégraphie quotidienne. Marchands d’épices et artisans se saluaient solennellement, respectant un rituel précis, ancré dans des siècles d’histoire et de sagesse.
— Ils vivent en symbiose avec la cité, poursuivit Mael'Zhen, les yeux fixés sur les silhouettes gracieuses en contrebas. Zeltania ne leur appartient pas, ils appartiennent à Zeltania.
Orun'Thal sourit, son regard empli d'une tendresse presque paternelle.
— Sais-tu ce que disent les anciens textes, Mael'Zhen ? Que Zeltania fut bâtie sur la mémoire du monde. Chaque pierre posée est un souvenir, chaque ruelle, une histoire murmurée.
— Et pourtant, observa Mael'Zhen, le visage soudain grave, aucune mémoire n’est intacte sans cicatrices. La ville cache aussi ses ombres.
Leurs voix furent interrompues par l'arrivée rapide de Elyra'Nae, essoufflée et les joues roses.
— Venez vite ! cria-t-elle d'une voix agitée. Ils l’ont trouvé, il est ici !
Orun'Thal fronça les sourcils, intrigué.
— Qui donc, Elyra'Nae ?
Elle prit un instant pour reprendre son souffle, mais son regard brillait déjà d'une émotion intense.
— L’enfant, l’enfant perdu. Les Sages viennent de le recueillir. Il attend dans la Chambre des Murmures.
Mael'Zhen échangea un regard profond avec Orun'Thal, un frisson parcourant l'air frais du matin.
— Alors, murmura-t-il presque à lui-même, le destin vient d’ouvrir une nouvelle voie…
Sans perdre davantage de temps, ils suivirent Elyra'Nae à travers les couloirs anciens du Temple des Sages. Les murs sculptés murmuraient des légendes oubliées, et les torches projetant des ombres dansantes les accompagnaient comme des spectres silencieux. La Chambre des Murmures était une salle circulaire, couverte d'inscriptions runiques qui semblaient palpiter sous la lumière tamisée des lampes à huile.
Au centre de la pièce, entouré par les doyens vêtus de leurs robes cérémonielles, se tenait un jeune garçon d'environ 7 Legas. Sa silhouette frêle était éclairée par un rayon de lumière dorée tombant du plafond voûté, lui conférant une aura presque surnaturelle.
Orun'Thal et Mael'Zhen s'approchèrent lentement, intrigués autant que respectueux. Le plus âgé des Sages s’avança vers eux et leur adressa un léger signe de tête.
— Voici Aetheltan, annonça-t-il d'une voix douce mais puissante. L’enfant que nous attendions, celui dont parlent les prophéties.
Les deux hommes sentirent leur souffle s'arrêter un instant, captifs du regard intense et troublant de l'enfant, qui semblait porter en lui toute la mémoire de Zeltania. À cet instant, ils surent que leur tâche ne serait pas seulement de le protéger, en tant que sage, mais aussi de le guider et de façonner le destin qu'il incarnait déjà si mystérieusement.
Dans les jours qui suivirent, Aetheltan demeura dans les hauteurs du temple, sous l’œil vigilant des Sages. Il parlait peu, dormait souvent, et semblait absorber chaque son, chaque vibration du sanctuaire. Il avait cette manière étrange de se mouvoir sans bruit, comme s’il respectait une harmonie secrète, inscrite dans les pierres mêmes de Zeltania.
Mael'Zhen fut le premier à remarquer ses gestes — précis, presque rituels. Lors des cérémonies du matin, Aetheltan se levait toujours avant le premier gong, plaçait ses mains sur la rune de l’est, et restait ainsi, immobile, comme s’il écoutait quelque chose que nul autre n’entendait.
— Il n’est pas qu’un enfant, murmura-t-il à Orun'Thal alors qu’ils l’observaient depuis la galerie supérieure. Il est un pont. Entre les âges. Entre les voix.
— Ou un miroir, répondit Orun'Thal. Un reflet de ce que nous avons oublié.
Les jours passèrent, et les trois saisons de la nouvelle Legacy débutèrent. Sous l’influence de l'Obscurité d'Argone, Aetheltan apprit les récits anciens, les mathématiques sacrées, et les chants de résonance. Puis, durant la saison d'Irkay, il s’éveilla à l’herboristerie, au dialogue avec les arbres, et aux danses fluides du Souffle. Enfin, durant Shibaya, il affronta ses premières visions — des songes de sable et de vent, de cités englouties et de dragons d’ombre.
C’est à cette époque que les Sages commencèrent à consigner ses paroles. Car parfois, l’enfant parlait… et ce qu’il disait n’appartenait à aucun temps connu. Ses mots ne venaient pas des dieux — car les Zeltans les avaient reniés depuis longtemps — mais d’une mémoire plus ancienne, d’une conscience inscrite dans la pierre et les vents.
Et lorsqu’il se taisait, c’était le silence lui-même qui semblait écouter.