Le Port d’Elvas
La brise maritime portait avec elle l’odeur du sel et du bois fraîchement taillé. Les chantiers navals d’Elvas résonnaient du martèlement des forgerons et des cris des ouvriers, coordonnant l’assemblage des navires qui, bientôt, prendraient la mer sous la bannière d’Aethel.
Au milieu des échafaudages et des cordages tendus, une silhouette imposante dominait l’effervescence : Aethel en personne. Le roi, vêtu d’une tunique de lin bordée d’or et d’un ceinturon de cuir orné du symbole sacré de son peuple, observait chaque détail de la construction. Ses mains, marquées par des legacies de bataille, effleuraient le bois du futur navire amiral, comme s’il sentait déjà le vent gonfler ses voiles.
C’est alors qu’un cavalier arriva, émergeant du tumulte poussiéreux des routes longeant la côte. Sa monture haletante portait l’éclat d’un long voyage.
— Kael Rohn Aethel ! annonça un drav'karyn. Valhoryn arrive.
Le roi ne détourna pas immédiatement le regard. Ses yeux restaient fixés sur les flancs massifs du navire en cours de construction. Lorsque Valhoryn, le général shael’ir, mit pied à terre, Aethel pivota enfin, un sourire sévère mais sincère aux lèvres.
— Valhoryn, salua-t-il d’une voix grave. Ta venue est un présage. Mauvais ou bon, cela dépendra de nos choix.
Le général inclina légèrement la tête. Son armure portait encore les traces des combats récents, les entailles dans le métal témoignant des batailles livrées contre les dévoreurs de Valgor.
— Les Dévoreurs ont frappé Valgor. Des villages entiers ont été réduits en charniers. Le sol est noir de leur corruption, déclara Valhoryn sans détour.
Aethel haussa un sourcil mais ne laissa pas l’inquiétude se lire sur son visage. Il savait déjà.
— Les Dévoreurs... répéta-t-il. Ils sont une plaie. Mais pas la priorité.
Il posa une main sur le bois sculpté du gouvernail.
— Un dragon a été aperçu au nord de Shael’thor.
Le regard de Valhoryn s’assombrit.
— Les rumeurs sont donc vraies ?
Aethel hocha la tête.
— Oui. Et nous n’avons pas le luxe de traîner. Si nous perdons du temps sur les routes, il détruira Dreylorn avant même que nous ayons atteint ses rives. Nos navires sont notre seule réponse rapide.
Il fit signe à un contremaître, qui s’approcha en s’inclinant légèrement.
— Combien de temps avant qu’ils soient prêts à naviguer ?
— Les premiers galions peuvent lever l’ancre dans deux jours, kael Rohn.
Aethel se tourna vers Valhoryn, son regard dur et tranchant comme une lame.
— Tu partiras avec eux. Embarque tes Shael’Ir et sois prêt à livrer bataille dès votre arrivée.
Valhoryn frappa son poing contre son plastron en signe d’acceptation.
— Nous ne faillirons pas.
Le roi observa un instant la mer, son esprit déjà loin, là où le rugissement du dragon n’attendait qu’un souffle du destin pour briser le silence du nord.
Legacy 14 – Les cendres de Valgor
Le soleil d’Irkay s’élevait haut dans le ciel, illuminant les tours d’ambre et de marbre du temple récemment érigé à Valgor. Ce sanctuaire, hommage à la lumière et à la prospérité divine, symbolisait la renaissance d’une ville déchirée par l’horreur des Dévoreurs. L’odeur de l’encens flottait dans l’air tandis que les Eldoriens, désormais majoritaires, célébraient la fin d’une ère de souffrance.
Des prêtres en toges d’or marchaient en procession à travers la ville, bénissant les foyers, les commerces et les places. Les artisans reconstruisaient, les marchands prospéraient, les rues résonnaient de nouveaux accents venus d’autres provinces.
Mais sous cette façade de renouveau, les cendres du passé n’étaient pas éteintes.
Les tensions couvaient sous la surface comme une braise dans l’ombre. Les Noviens, privés de leur écurie sacrée, n’avaient pas oublié. Dans les tavernes obscures, dans les ruelles silencieuses, la rancune grandissait, s’aiguisait comme une lame prête à trancher.
Puis vint Shibaya, la saison des moissons et du crépuscule. Une nuit où le vent portait l’odeur du blé mûr… et du soufre.
Le marché eldorien s’embrasa en une tempête de feu et de cris. Les Noviens, regroupés sous la bannière de leur colère, mirent le feu aux étals, aux entrepôts, aux maisons.
— Par Irkay, ils brûlent tout ! s’écria un marchand en voyant son échoppe engloutie par les flammes.
Les Eldoriens, pris de panique, tentèrent d’éteindre l’incendie, mais la fureur novienne n’était pas une simple révolte : c’était une guerre civile en gestation.
Lorsque l’aube se leva, Valgor n’était plus la même.
Privés de temple de Shibaya et de la figure unificatrice de Thaldris, les Eldoriens vacillèrent. La fracture était irrémédiable : 40 % d’entre eux refusèrent de reconnaître Valgor comme leur foyer et s’exilèrent, portant avec eux une rancune tenace. Thaldris était sur la route du retour d'Eldrastor mais il revint trop tard.
Son arrivée fut marquée par des regards lourds, des silences glaçants. Les cendres du marché encore fumantes, les plaies ouvertes de la cité se refusaient à cicatriser.
Il convoqua le représentant eldorien, un homme d’acier et de principes, espérant désamorcer les tensions.
— La paix doit être restaurée. Les coupables seront jugés, mais nous ne pouvons laisser cette ville se déchirer davantage.
Le regard du représentant eldorien, dur comme la pierre, ne vacilla pas.
— La paix ne se construit pas sur les cendres de nos foyers, Thaldris.
Le commandant inspira profondément.
— Alors sur quoi ?
Un silence pesant s’étira entre eux.
— Sur une dette de sang.
Thaldris comprit alors qu’il ne s’agissait plus d’un simple conflit ethnique. C’était une guerre d’identité.
Et Valgor, jadis symbole d’une prospérité renaissante, était désormais un champ de bataille silencieux où le feu ne demandait qu’à reprendre entre les eldoriens et les noviens.
Solvor : Le Renforcement Barbare
Au-delà des marais, Solvor n’avait jamais oublié son héritage de violence. La fosse commune, vestige des massacres de la Legacy précédente, fut réduite en cendres par une horde barbare, comme un dernier acte de défiance envers l’ordre imposé par Aethel.
Les guerriers de Solvor, farouches et imprégnés des anciens rituels tribaux, rejetèrent toute autorité extérieure. La destruction de la fosse n’était pas qu’un acte de vengeance : c’était une déclaration de guerre.
Sylvanis, la forêt d’Yrwood
Un rugissement déchira le silence ancestral de la forêt. Il ne s'agissait pas d’un cri ordinaire, mais du grondement primitif et titanesque d’une créature draconique, une onde de choc si puissante que les feuillages tremblèrent comme une mer sous la tempête.
Kaelhor leva brusquement la tête vers le ciel assombri par des nuées sulfureuses. Son poing se resserra sur la garde de son épée.
— Par les cendres d’Irkay…
Avant qu'il n'ait le temps de réagir, l’ombre gigantesque du dragon fondit sur le campement.
Les ailes battantes soulevèrent un vent ardent, couchant les tentes et projetant les hommes à terre. Un jet de flammes jaillit des entrailles du monstre, consumant tout sur son passage. Les arbres centenaires d’Yrwood, témoins immuables du temps, devinrent torches vivantes.
— Kaelhor, cours ! hurla Ilana en le tirant par le bras.
Le feu rugissait derrière eux, avalant tout, dévorant les silhouettes des bûcherons hurlants. Le sol se fissurait sous la chaleur infernale, des racines éclatant dans des gerbes de braise. Ils coururent à perdre haleine. Dreylorn était leur seul espoir.
Dreylorn, un bastion aux remparts de pierre, apparut enfin à l’horizon. Les survivants, le souffle court, se précipitèrent vers la ville, des cendres collées à leur peau, des lambeaux de fumée dans les cheveux.
Mais avant même qu’ils n’atteignent les portes, un cri résonna à nouveau dans les cieux.
— Non… pas encore… murmura Ilana, le cœur battant.
Le dragon revenait.
Sa masse titanesque fendit l’air au-dessus d’eux, ses yeux luisant d’une intelligence cruelle. Dans un grondement sourd, il ouvrit les mâchoires… et l’enfer s’abattit une fois de plus.
Les toits de chaume s’embrasèrent aussitôt. Des flammes liquides, presque vivantes, rampèrent sur les pavés, léchant les murs de pierre et projetant des ombres infernales.
Kaelhor bondit sur un cheval encore sellé et attrapa une lance.
— Ilana, soigne les blessés !
Elle acquiesça, déjà à genoux auprès d’un garde grièvement brûlé. Autour d’elle, les cris des agonisants s’entremêlaient au crépitement du brasier.
Kaelhor, lui, leva son regard vers le monstre qui tourna en cercle au-dessus de Dreylorn.
— Viens, alors. Montre-moi si tu es digne de ta légende.
L’acier de sa lance refléta les flammes.
Et la bataille pour Dreylorn commença.
La brume tombait lourdement sur Tor-Kalder, serpentant entre les bâtisses de pierre comme une présence spectrale. Kael'Thar Shaar'Thul venait juste d'arriver de Brillendal lorsqu'il apprit au sujet des disparitions. En tant que serviteur d'Aethel, il devait trouver la solution à ces disparitions. Les villageois parlaient à voix basse, jetant des regards inquiets aux ombres s’étirant sous les torches vacillantes. Chaque nuit, un autre disparu. Chaque matin, une maison restait vide, porte grande ouverte, avec parfois des traînées de sang menant aux collines boisées.
Kael’thar Shaar’thul, contempla la place du village depuis les hauteurs du fortin. Il serra le pommeau de son bâton.
— Nous avons laissé cette chose agir trop longtemps.
D’un signe, il fit signe au chef des gardes de la ville.
— Rassemble un détachement. Nous allons traquer cette ombre jusqu’à sa tanière.
Les cavaliers s’équipèrent en silence. Des épées bénies, des torches enduites d’huile, des amulettes protectrices ornées des runes de lumière d’Irkay. Ils savaient que ce qu’ils cherchaient n’était pas humain.
La traque mena le détachement aux abords de la forêt, là où la brume s’épaississait, masquant les étoiles. L’air était chargé d’une odeur de fer et de cendre.
Soudain, un cri retentit. Strident. Inhumain.
Les chevaux se cabrèrent. Quelque chose bougeait entre les arbres.
— Formation ! aboya Kael’thar.
Les lames furent dégainées dans un chœur métallique. Puis l’ombre surgit.
Une silhouette tordue, aux membres décharnés, émergea de l’obscurité. Des yeux rougeoyants, une peau parcheminée, des griffes recouvertes de chair encore palpitante. Un démon, affamé, assoiffé de vie.
Il bondit. L’impact projeta un soldat au sol, un hurlement s’étouffant dans une gerbe de sang. Kael’thar pivota, frappant d’un revers d’épée. L’acier s’enfonça dans la chair noircie, mais la créature ne flancha pas.
— À la lumière d’Irkay ! rugit-il.
Les torches s’abattirent sur le monstre. Le feu embrasa ses chairs impies, projetant un cri d’agonie qui fit trembler la forêt tout entière.
Il se débattit, hurla… puis s’effondra dans un tas fumant.
Kael’thar essuya son épée.
— Que l’on fouille cette forêt. Il pourrait y en avoir d’autres…
Il croisa le regard de ses hommes. Tous savaient qu’une telle horreur ne venait jamais seule...