La nuit s’étirait sur Elvas, un voile de ténèbres rongeant les contours de la cité. Les pavés, baignés d’une lueur spectrale, semblaient absorber chaque murmure, chaque pas furtif.
Puis, le silence fut brisé.
Un cri déchira l’air, suivi d’un autre, écho d’une panique grandissante.
Une ombre mouvante se répandait dans les ruelles comme une marée noire, s’insinuant entre les bâtisses et glissant sous les portes. Là où elle passait, les torches s’éteignaient, le vent se figeait.
Ce n’était pas une simple révolte.
— Les ténèbres d’Argone sont parmi nous… souffla un prêtre en s’agenouillant devant une flamme vacillante.
Dans les hauteurs de la ville, la cloche du jugement sonna.
La potence dressée au cœur d’Elvas, monument de justice et de crainte, devait aujourd’hui accueillir une victime bien plus ancienne que les fauteurs de troubles.
Un homme tomba à genoux, agrippant sa gorge en haletant.
— Ils nous prennent… ils nous emmènent…
Kaërim Sahr'Zhun, le dhor d'Elvas, accouru avec une escouade de Drav’Karyn, tenta de le saisir par les épaules, mais son corps s’évapora en un souffle de cendres noires.
Ce n’étaient pas des morts qu’Argone réclamait. C’était des âmes.
Kaelhor arriva en hâte, l’épée tirée. Il vit des dizaines d’hommes et de femmes être arrachés à la réalité, engloutis par une force invisible qui les traînait vers les ombres.
— Ils ne fuient pas… ils sont appelés ! rugit-il.
Là, au sommet de la colline, la potence scintilla d’une lueur malsaine.
Le bois ancien semblait vibrer sous une force indicible, et à chaque nouvelle disparition, une corde vide se balançait, comme si elle s’alourdissait sous le poids d’un être que nul ne pouvait voir.
Les Drav’Karyn formèrent un cercle défensif, mais que pouvaient-ils contre une force qu’ils ne comprenaient pas ?
Une entité sans visage se balançait lentement au bout d’une corde invisible.
Les flammes de la ville vacillèrent. Un murmure glissa sur les pierres… une prière funeste dans une langue oubliée.
Puis, l’ombre disparut.
Et avec elle, ceux qui avaient été enlevés.
Le silence après l’horreur
La nuit redevint paisible. Aucune trace de sang, aucun cadavre.
Mais les rues d’Elvas étaient plus vides qu’avant.
Un peuple avait été jugé par une force qui ne se souciait ni du bien ni du mal.
Kaërim, le poing crispé sur la garde de son épée, échangea un regard vers la lune de cette obscurité d'Argone
— On ne les reverra jamais, murmura-t-il. C'est alors que la décision de former une garde de l'Aube au temple d'irkay de Dreylorn était la solution contre ces fléaux hivernaux
La nuit était étouffante à Eldrastor. La chaleur du désert semblait s’infiltrer jusque dans les murs de la ville, pesante, insoutenable, comme si elle-même portait le poids d’un secret inavouable.
Au cœur du vieux quartier, dans une salle discrète au sein du temple de Shibaya, Zahraya se tenait droite, le ventre arrondi par les derniers jours de sa grossesse. Son regard d’ambre perçait l’obscurité, son ombre projetée par la lueur vacillante des lampes à huile.
Autour d’elle, des femmes voilées écoutaient en silence. Elles étaient des guerrières, des exilées, des érudites bannies, des assassines sans cause.
Zahraya, malgré la fatigue, leur parlait avec force et conviction.
— Eldrastor est une ville de secrets et de trahisons. Nous avons vécu sous l’ombre d’hommes qui se disputaient le pouvoir, sous l’emprise de complots qui ne nous appartenaient pas. Il est temps que cela change.
Son regard balaya l’assemblée.
— Aujourd’hui, nous devenons les Sœurs du Désert. Nous sommes l’invisible, l’inévitable. Nous ne tuerons pas pour l’or, mais pour l’équilibre. Pour que nul ne puisse régner par la force sans craindre notre lame dans l’ombre.
Dans un silence solennel, chaque femme s’agenouilla devant elle, frappant leur poing sur leur cœur. Un serment venait d’être prêté.
Les Sœurs du Désert étaient nées.
Le vent changea cette nuit-là.
Un galop résonna sur la pierre brûlante des ruelles. Un cavalier encapuchonné fendait les ténèbres. Aethel chevauchait à bride abattue, son manteau sombre soulevé par la tempête de sable naissante.
Il sentait que le moment était venu.
Il atteignit la porte du temple en une dernière ruade, bondit à terre et s’engouffra dans l’enceinte sacrée. Son cœur battait comme un tambour.
— Zahraya ! appela-t-il d’une voix rauque.
Dans une chambre éclairée par des lanternes d’ivoire, Zahraya reposait, son corps épuisé par l’effort, mais ses yeux toujours emplis de cette fierté indomptable qui faisait d’elle une reine dans l’ombre.
Entre ses bras, un enfant.
Aethel s’approcha lentement, comme s’il s’avançait vers un rêve qu’il ne croyait pas possible. La conteuse des dunes lui avait annoncé l'heureux événement qu'il allait pouvoir voir de ses yeux. Il vit alors son fils.
Ses petits poings se serraient instinctivement, et sous les boucles d’ébène déjà présentes sur son crâne, ses yeux s’ouvrirent.
Un éclat bleu glacé. Les yeux d’Aethel.
Un frisson parcourut le roi. Ce n’était pas seulement son fils, c’était son héritier, son avenir. Celui annoncé s'il survivait aux eldoriens.
Zahraya, un sourire fatigué aux lèvres, murmura :
— Voici Aethelric.
Le guerrier s’agenouilla devant elle, son front touchant doucement le front de son fils.
— Mon sang, mon fils…
Et à cet instant, Eldrastor connut un nouveau prince, tandis que dans l’ombre, la première guilde d’assassins du désert murmurait son serment. Aethel savait qu'il ne pouvait repoussé l'inévitable de sa confrontation avec le roi eldorien ayant pris Valgor. Une négociation l'attendait ...
Tor Kalder, joyau du commerce, vibrait sous l’effervescence de la saison d’Irkay. Les caravanes serpentaient les pavés de granit, leurs roues crissant sous le poids des épices, des étoffes et des métaux précieux. La ville, gardienne des routes commerciales, était une porte entre les royaumes, un carrefour où se forgeaient les alliances et les trahisons.
Mais cette année, quelque chose changeait.
Dans une salle enfumée aux murs de velours et aux candélabres sculptés, les plus puissants marchands de Karazorn et de Shael’Thor s’étaient réunis.
Autour d’une immense table d’acajou incrustée d’or, des hommes et des femmes aux manteaux brodés sirotaient du vin d’ambre. Leurs visages étaient impassibles, mais leurs regards acérés pesaient sur chaque mot prononcé.
Au centre, Luthar Velkaris, maître de la Compagnie des Trois Routes, se leva.
— Trop longtemps, nous avons laissé les royaumes dicter nos prix, taxer nos biens et voler notre richesse sous prétexte de gouvernance. Trop longtemps, nous avons prospéré sans contrôle. Cela doit changer.
Un murmure parcourut l’assemblée. Des têtes se tournèrent vers un vieil homme aux doigts couverts de bagues.
— Nous sommes des marchands, pas des rois, Velkaris.
Un sourire froid naquit sur les lèvres du maître de la Compagnie.
— Les rois gouvernent avec le sang. Nous gouvernerons avec l’or. Ceux qui contrôlent la monnaie contrôlent les couronnes. Si nous nous unissons, nous ne serons plus des marchands soumis aux caprices du pouvoir… Nous serons le pouvoir.
Le silence s’étira.
Puis une femme vêtue d’un manteau de soie pourpre hocha lentement la tête.
— Que proposes-tu ?
Velkaris leva une coupe de vin.
— Un ordre. Une guilde secrète qui régira le commerce, fixera les prix, imposera ses lois à l’économie de Shael’Thor et au-delà. Aucun roi ne pourra nous forcer la main. Aucun guerrier ne pourra briser nos chaînes… car nous serons les maîtres invisibles de ce monde.
Un frisson parcourut la salle.
Un à un, les marchands levèrent leurs coupes.
Ce soir-là, sous les arches dorées de Tor Kalder, la Guilde des Marchands était née.
Un ordre secret, invisible, mais plus puissant qu’aucune armée.
Les marais de Solvor n’étaient que ténèbres et putréfaction. L’eau noire suintait entre les racines noueuses, des brumes épaisses serpentant au-dessus des étangs pestilentiels. Des silhouettes s’agitaient dans l’ombre, des pillards à demi-sauvages, des rebuts de guerre, et pire encore… les morts qui ne dormaient plus.
Syris, vêtu de son manteau d’alchimiste, observa le paysage avec un regard froid.
À ses côtés, le golem d’or s’éveilla. Ses runes gravées dans la matière précieuse s’illuminèrent, et la créature articula ses membres avec un grondement métallique. Une arme sacrée, un vestige d’une époque où les dieux eux-mêmes avaient forgé les destinées.
— Avance.
La créature obéit, et dès qu’elle s’enfonça dans les marais, les hurlements retentirent.
Les insurgés surgirent des fourrés, hurlant leur défi. Des peaux peintes de cendre, des lames effilées de rouille et de fureur. Ils attaquèrent en masse, pensant abattre l’alchimiste isolé.
Ils ignoraient qu’ils faisaient face à un titan.
D’un coup de poing titanesque, le golem d’or fracassa un premier groupe de barbares, projetant leurs corps brisés dans l’eau croupie. Syris, immobile, traça un glyphe dans l’air, et une gerbe de feu blanc embrasa les roseaux, piégeant les fuyards.
La bataille fut brève. La moitié des insurgés succomba sous les assauts du colosse doré.
Alors que la victoire semblait assurée, un vent glacé s’éleva soudain.
Les marais frémirent. Des bras décharnés émergèrent de l’eau, et des figures squelettiques se relevèrent dans la brume. Leurs orbites vides luisaient d’une lueur nécrotique, et une voix caverneuse s’éleva du néant :
— Ces terres appartiennent à Argone…
Syris serra les dents. Les morts-vivants étaient bien plus nombreux que prévu.
— Retrait !
Le golem se replia vers son maître, balayant les cadavres animés sur son passage. Mais chaque ennemi abattu était remplacé par deux autres, se relevant inlassablement.
Syris lança une fiole éclatante sur le sol, et une explosion de lumière blanche illumina la brume. Les morts reculèrent un instant. Ce fut suffisant.
L’alchimiste et son colosse disparurent dans les ombres du marais, laissant derrière eux un champ de bataille hanté.
Les marais de Solvor n’étaient pas encore purifiés. Mais ils sauraient désormais qu’ils avaient un ennemi.
La ville de Dreylorn n’avait jamais connu de paix durable. Elle était née de la guerre et façonnée par le sang de ceux qui luttaient pour la posséder. Mais ce jour-là, ce ne furent pas des pillards ou des barbares qui déchaînèrent le chaos. Ce furent ses propres habitants.
Le soleil d’Irkay baignait encore les toits de Dreylorn lorsque la fureur des Eldoriens éclata.
Ils avaient appris qu’une nouvelle garde, la Garde de l’Aube, allait voir le jour sous la protection de Kael’Thar Shaar’Thul. Un ordre dédié à la lumière, un rempart contre les ténèbres d’Argone.
Pour les Eldoriens, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : une menace à leur propre puissance.
Ils frappèrent d’abord le temple d’Irkay. Les vitraux éclatèrent sous les lames des fanatiques, les prêtres furent égorgés sur les marches sacrées, et le feu divin devint un brasier de cendres et de douleur.
Dans les rues, le carnage se répandit. Les Aldoniens, pris de court, furent massacrés sans distinction. Des familles entières furent traînées hors de leurs foyers, leurs corps laissés aux vautours sur les places pavées. Dreylorn baignait dans le sang.
Alors que la ville s'effondrait dans la folie, un homme marcha parmi les cendres.
Kaelhor Arath'Zem.
Sa cape noire flottait derrière lui, et son regard d’acier ne reflétait aucune pitié. Il ne vint pas supplier les Eldoriens d’arrêter. Il ne vint pas négocier.
Il vint juger.
D’une voix qui résonna au-dessus des cris et des flammes, il déclara :
— Que le Livre des Lois de Valhoryn tranche en ce jour. La sentence est la potence.
Les guerriers Drav’Karyn de Dreylorn apparurent alors, des ombres armées de justice et de colère. Les Eldoriens furent encerclés, ceux qui avaient versé le sang traînés comme des bêtes vers la place centrale.
Et là, sur les gibets de Valhoryn, ils furent pendus.
Les mercenaires. Les gardiens des vivres qui avaient affamé Dreylorn. Tous ceux qui avaient profité du chaos et de la famine furent suspendus dans le vide, leurs corps oscillant sous le regard implacable du peuple.
Dreylorn fut purifiée.
Mais la purification avait un prix... le projet de Kael'Thar Shaar'Thul avait prit un retard considérable sur sa nouvelle garde de l'aube...