Le vent glacial soufflait sur les remparts de Skarnjoll, chassant les nuages bas qui masquaient les cimes enneigées du Nord. La cité, bâtie à flanc de montagne, résonnait du martèlement des forges et des pas lourds des soldats s’entraînant à l’aube. Son cœur battait au rythme du fer et du feu, tandis que les bannières aux couleurs de Novania claquaient sous les bourrasques.
Dans la grande salle du trône, l’ambiance était tendue. La lumière dansante des torches projetait des ombres mouvantes sur les murs de pierre brute, où étaient gravés les récits des anciennes guerres de Novania. Atanael, le thane de Skarnjoll, était assis sur son siège d’ébène, ses doigts jouant distraitement sur le pommeau de son épée. Devant lui, un émissaire de Thrymskarn et plusieurs capitaines attendaient en silence.
Freya Skjalgrimm, prêtresse-guerrière de Kharon, se tenait droite, son armure lustrée reflétant la lumière tremblante des flammes. Son regard acéré se posa sur Atanael tandis qu’elle s’avançait.
— Le sang a été versé pour cette alliance, déclara-t-elle d’une voix claire et assurée. Thrymskarn reconnaît la valeur des hommes de Skarnjoll. Nous avons vu leurs lames briller dans la bataille, et nous reconnaissons leur loyauté.
Atanael hocha lentement la tête. Son regard glissa vers la carte déroulée devant lui, où les lignes marquaient les routes commerciales et les nouvelles frontières tracées par l’accord avec les thanes du Conseil de Fer.
— Ce pacte est plus qu’un engagement de soldats, Freya. C’est un serment entre nos peuples, une chaîne forgée dans l’acier et la sueur. Les Eldoriens de Skarnjoll serviront Thrymskarn, et nos propres guerriers les accompagneront. Mais sache ceci : je ne tolérerai aucune félonie dans mes rangs. Ils combattront pour Novania, ou ils ne combattront pas du tout.
Freya haussa un sourcil, un sourire fugace jouant sur ses lèvres.
— L’honneur forge les âmes, Atanael. L’acier ne vaut rien s’il n’est pas trempé dans l’épreuve. Je veillerai à ce qu’ils comprennent où réside leur devoir.
Un silence passa, lourd de promesses et de décisions. Puis Atanael se leva, imposant, sa silhouette se détachant sur la tapisserie représentant les anciennes batailles des rois de Novania.
— Alors il en sera ainsi. Thrymskarn aura ses renforts. Et en retour, nous bâtirons un avenir pour Skarnjoll.
Le pacte signé, les portes de Skarnjoll s’ouvrirent à une vague d’immigrants lunariens, fuyant les guerres et la corruption d’Argone. Les rues de la capitale résonnèrent bientôt d’une nouvelle langue, d’un brassage de cultures et de traditions qui, lentement, fusionnaient avec celles de Novania.
Irkay 3 marqua l’accomplissement du pacte : sous l’égide de Freya Skjalgrimm, les renforts marchèrent vers Thrymskarn, apportant avec eux la discipline et la force de Skarnjoll. La cité de l’Est, jadis repliée sur ses montagnes, vit ses défenses renforcées, et ses guerriers se forger un nouveau renom.
Mais ce fut en Shibaya que les véritables transformations eurent lieu. Pour la première fois, Thrymskarn se dota d’un port, une ouverture vers de nouvelles opportunités, de nouveaux conflits, et peut-être de nouvelles guerres. De l’autre côté, Skarnjoll vit surgir un imposant quartier militaire, bastion de pierre noire et de tours d’acier, où s’entraînaient sans relâche ceux qui serviraient la bannière d’Atanael.
Les vents du Nord portaient désormais un message clair : l’ère de Novania était en marche, et ceux qui s’opposeraient à son ascension goûteraient à la morsure du fer.
Dans les profondeurs des légendes de Shael’thor, le troisième Legacy est contée comme un mélange d’obscurité et d’éclats lumineux. C’est l’histoire d’un roi acculé par le poids des catastrophes, mais qui, malgré les épreuves, demeure une figure héroïque pour son peuple. Ce cycle, marqué par la famine, les morts-vivants et la désastreuse bataille des marais, forgea Aethel en un souverain dont les faiblesses devinrent des leçons, et les échecs, des fondations pour un avenir incertain.
Sous un ciel étouffé de nuages gris, la cité d’Eldrastor, jadis joyau prospère du royaume, s’étendait comme une coquille vide aux pieds des mines d’or de Karazorn. Ses rues pavées, autrefois bruissantes de vie, étaient devenues des sentiers silencieux, hantés par des ombres vacillantes. Les édifices d’un marbre éclatant semblaient avoir perdu leur éclat, ternis par une pénombre omniprésente. Une odeur de pourriture et de désespoir imprégnait l'air, rappelant à chaque pas la souffrance qui régnait en ces lieux. La récente attaque des morts-vivants avait corrompu les terres fertiles.
Le roi Aethel se tenait sur la grande place d'Elvas, au pied de son Shael'kaethryn, entouré de statues usées par le temps représentant des figures divines protectrices. Il était là, seul, face à son peuple agonisant, un manteau de fourrure pesant sur ses épaules, comme s’il portait la charge de toute une nation. Sa silhouette élancée était figée, mais ses yeux ténébreux étaient vifs, traversés par une mélancolie indéfinissable. Les cris des enfants affamés et les murmures de prières étouffées s’élevaient comme une litanie funeste dans tout son royaume.
« Seigneur Aethel, les greniers d'Elvas sont vides également, murmura Kaërim Sahr'Zhun, son conseiller le plus fidèle, d’une voix empreinte d’une amère résignation. Nous avons fouillé chaque entrepôt, chaque cave… même les rats fuient cette ville. Que devons-nous faire ? »
Le roi ne répondit pas tout de suite. Il scrutait les ruines de son rêve, une cité florissante, aujourd’hui anéantie par une succession d’hivers glaciaux et d’attaques incessantes de pillards. Il pouvait entendre les grondements de son peuple, des échos d’accusation mêlés au désespoir. Ses mains gantées se crispèrent sur la garde de son épée, non pas par peur, mais par impuissance.
« Nous devons agir, Kaërim, dit-il finalement, sa voix résonnant comme un éclat d’acier dans le froid hivernal. Pas de sacrifices. Pas de trahisons. Si je dois me tenir à genoux devant les dieux eux-mêmes pour sauver mon peuple, je le ferai. Mais je ne laisserai pas Eldrastor sombrer dans l’infamie comme Dreylorn. »
Des regards furtifs se croisèrent autour de lui, mais personne n’osa contester. L’ombre d’un héros se dessinait dans les yeux du peuple : un roi qui refusait de plier face à l’adversité. Pourtant, le doute planait encore. Les mines d'or de Karazorn, autrefois symbole de richesse et de gloire, n’étaient plus qu'un gouffre inutile face à la famine. Les prières adressées à Shibaya, la déesse de la vie et de la fertilité, étaient restées muettes, leurs échos se perdant dans le vide glacial des montagnes.
Dans un ultime geste d’espoir, le roi convoqua le conseil royal dans la salle des gardiens, un immense hall où des fresques d’or et d’argent dépeignaient des scènes de moissons prospères et de victoires passées. Mais ces images semblaient appartenir à un autre temps, à une époque que nul ne reconnaîtrait aujourd’hui.
« Kaërim, Zahraya, Shael’vaar aev shael’raan, shael’dhor aev shael’thar, en langage commun signifiant "Mesdames et Messieurs" du conseil, commença-t-il, sa voix vibrante d’une force contenue, nous devons redistribuer toutes les denrées restantes, sans exception. Les palais et les marchés ne sont pas au-dessus des rues pauvres. Chaque miette sera partagée équitablement, et ceux qui s’opposeront à cette décision auront affaire à moi. »
Le silence répondit à ses paroles. Puis, lentement, Kaërim Sahr'Zun, inclina la tête, suivi par les autres membres du conseil. Mais au-delà de cette résolution, une vérité glaçante subsistait : les maigres provisions ne suffiraient pas à tous les sauver. L'erreur de la décision d'Aethel sur Dreylorn ne devait pas être commise de nouveau.
Au fil des semaines, Eldrastor devint une cité de fantômes. Des ruelles jadis animées, il ne restait que des silhouettes émaciées, errant comme des ombres. Des murmures funèbres circulaient dans les quartiers : certains parlaient de villages voisins complètement dévastés, d’autres évoquaient des actes de cannibalisme dans les bas-fonds. Mais au milieu de ce chaos, l’image d’Aethel, régulièrement visible dans les rues, soutenant les faibles de ses propres mains, renforçait une lueur d’espoir chez les survivants.
Pourtant, la famine ne fit pas de distinction entre riches et pauvres. Elle frappa les nobles comme les paysans, ébranlant les fondations mêmes de la cité. Près de la moitié de la population d’Eldrastor périt, mais ceux qui survécurent portèrent le poids du sacrifice. Lorsque le printemps finit par percer le long hiver, il trouva une cité brisée mais pas anéantie, guidée par un roi qui avait refusé de succomber aux ténèbres. Et dans cette renaissance timide, le nom d'Aethel était murmuré avec une révérence nouvelle : celui d’un homme qui avait osé affronter l’ombre elle-même.
Alors qu’Eldrastor se mourait de faim, un autre combat se livrait à Valgor, la capitale militaire du royaume, située sur les hautes falaises bordant la Gorge Noire. Valgor, bastion imprenable aux murailles de granit sombre, résistait à une menace insidieuse : les morts-vivants. Depuis l’apparition de l’Ombre d’Argone, une magie funeste relevait les cadavres des défunts, transformant les rues en un théâtre macabre où des silhouettes décharnées rôdaient, assoiffées de chair vivante. Les habitants de Valgor redoutait de connaître un destin encore plus tragique que celui d'Eldrastor durant la précédente legacy.
Les guerriers de Valgor tentaient de contenir cette horreur. Leur courage était légendaire, mais face à la magie noire, même les plus vaillants vacillaient. Chaque coup de sabre éliminait une abomination, mais deux autres semblaient surgir de l’ombre pour prendre sa place. Les torches qui illuminaient les ruelles révélaient des scènes cauchemardesques, où le sol pavé suintait du sang des combats incessants.
C’est dans ce contexte que le roi Aethel, auréolé d’une détermination inébranlable, arriva à Valgor. Ses pas résonnaient dans les grandes salles du bastion, sa cape sombre flottant derrière lui. Sa présence seule rallumait l’espoir dans les cœurs désespérés. Les guerriers s’inclinaient à son passage, et les habitants, bien que hantés par la peur, le regardaient avec une admiration mêlée d’attente. Aethel n’était pas un roi qui commandait depuis une distance prudente ; il était un guerrier, un stratège et un meneur prêt à combattre aux côtés de son peuple.
Une nuit d’Irkay, alors que la lune rouge semblait observer la cité comme un mauvais présage, Aethel prit la tête d’une expédition pour purger les catacombes de Valgor, d’où émanaient les flux les plus puissants de magie noire. À ses côtés, Kaërim Sahr'Zun et les vétérans de la précédente legacy d’Eldrastor portaient des amulettes sacrées, bénies par les prêtres d'Irkay, dans l’espoir de repousser la corruption. Les combats dans les souterrains furent terribles, chaque pas arraché aux ténèbres au prix d’un sacrifice. Des cris résonnaient dans les boyaux étroits, mêlant supplications des vivants et murmures des morts.
La "Gorge Noire", une fosse commune creusée à l’extérieur des murailles, devint le symbole des mesures désespérées imposées par Aethel. Les cadavres des morts, qu’ils soient de simples citoyens ou de valeureux guerriers, y étaient jetés sans cérémonie pour empêcher leur résurrection. Ce lieu, à la fois sinistre et salvateur, était constamment entouré de gardes armés de torches et de lames bénies. Bien que certains maudissaient cette décision, la majorité voyait en cette fosse un rempart indispensable contre l’anéantissement.
Mais c’est lors d’une nuit d’apogée du chaos qu’Aethel démontra véritablement la force de sa destinée. Une abomination colossale, fusion grotesque de plusieurs corps humains et animaux, émergea des ténèbres. Elle était l’œuvre directe d’Argone, une insulte vivante à la création. Aethel, malgré les supplications de ses conseillers de rester à l’arrière, brandit sa lame étincelante et marcha seul vers la créature. Les éclairs illuminèrent la scène, dessinant l’ombre imposante du roi face à cette monstruosité.
Le combat fut titanesque. La créature, dotée de griffes et de crocs démesurés, balayait tout sur son passage, tandis qu’Aethel esquivait avec une agilité presque surnaturelle. Les coups qu’il portait à la bête semblaient insuffler dans l’air une lumière divine, comme si Irkay lui-même guidait sa lame. Les soldats et habitants, rassemblés sur les remparts pour assister au duel, retinrent leur souffle. Le dernier coup, porté à l’aube, fit trembler la terre. La créature s’écroula dans un râle funeste, et Aethel, couvert de sang mais debout, leva son épée vers le ciel en criant :
"Nous sommes les enfants de la lumière, et jamais l’Ombre ne nous engloutira !"
Ce jour-là, Aethel ne fut plus seulement roi ; il devint une légende, un symbole de résistance contre l’Ombre d’Argone. Valgor, bien que meurtrie, retrouva un souffle d’espoir, car tant qu’un homme comme Aethel tiendrait sa lame, les ténèbres ne triompheraient jamais.
Sous un ciel d’orage menaçant, la capitale de Valgor, joyau des terres d’Aethel, se dressait fièrement contre les assauts du vent. Ses murailles blanchies par cet air sablonneux scintillaient sous les éclairs qui déchiraient l’horizon, tandis que les étendards frappés du lion d’or, symbole des Aetheliens, claquaient au sommet des tours. Aethel attendait le rapport de son espionne, Liora, dans le le Shael'kaethryn, hall sacré et de gouvernance présent dans chaque ville.
Le roi, vêtu d’un manteau sombre bordé d’or, se tenait devant une carte gravée sur une immense table de pierre. Ses doigts effleuraient les frontières incertaines des marais de Solvor, où une menace grandissante pesait sur ses terres. Il releva la tête en entendant des pas légers résonner dans le couloir.
La porte s’ouvrit doucement, laissant apparaître Liora. Vêtue d’une cape de voyage encore humide des embruns marins, elle s’avança avec l’assurance de ceux qui n’ont rien à prouver. Son regard perçant, d’un vert profond, reflétait une fatigue évidente, mais également une détermination inébranlable.
— Majesté, dit-elle en s’inclinant légèrement.
— Liora, tu es revenue. Parle. Que nous rapportes-tu des marais de Solvor ? demanda Aethel d’une voix grave, en se redressant pour croiser son regard.
Liora tira le capuchon de sa cape, dévoilant ses cheveux sombres tirés en arrière, encore parsemés de gouttes d’eau. Elle s’approcha de la table, posant un rouleau de parchemin scellé devant le roi.
— J’ai embarqué avec Kaelen sur le Serpent d’Argent comme convenu. Nous avons longé la côte jusqu’aux marais de Solvor. Là-bas… Elle marqua une pause, cherchant ses mots. Les choses sont pires que ce que nous redoutions.
Aethel fronça les sourcils, son visage durci par l’inquiétude. Il posa une main ferme sur la carte.
— Explique-toi. Ces barbares sont-ils plus qu’une menace locale ?
— Bien plus, Majesté. Liora pointa une zone marécageuse sur la carte. Leurs camps se multiplient à une vitesse alarmante. Ils ne sont plus des groupes épars de pillards. Ils s’organisent. Des chefs tribaux se sont unis sous une bannière commune, celle d’un chef que l’on nomme Korgal le Dévorant.
— Korgal... murmura Aethel, presque pour lui-même. Son regard se fit plus sombre. Ce nom revient comme un vent mauvais. Continue.
Liora hocha la tête.
— Ils ne se contentent plus des marais. Des éclaireurs m’ont rapporté que des convois de bois et de pierre convergent vers un point central. Ils bâtissent quelque chose, peut-être une forteresse ou une machine de guerre.
Aethel serra le poing, son regard flamboyant se portant au-delà des murs du palais, comme s’il cherchait déjà à affronter cette menace.
— Et leur flotte ? demanda-t-il enfin.
— Rudimentaire, mais croissante. Leurs navires sont grossiers, mais suffisamment solides pour traverser les eaux des marais et menacer nos côtes. Si nous n’agissons pas vite, ils seront prêts à attaquer avant la fin de cette Legacy.
Un silence pesant s’installa dans la pièce, seulement troublé par le crépitement d’un feu dans l’âtre. Aethel se détourna un instant, fixant une tapisserie représentant les exploits de ses ancêtres. Lorsqu’il parla à nouveau, sa voix était empreinte de la résolution d’un roi prêt à défendre son peuple.
— Liora, ton courage et ton dévouement ne passent pas inaperçus. Grâce à toi, nous avons une longueur d’avance. Mais cette menace doit être écrasée avant qu’elle ne prenne racine.
Liora esquissa un léger sourire, satisfaite de voir que son roi prenait la gravité de la situation à cœur.
— Je vis pour servir Shael'Thor et protéger notre peuple, Majesté. Mes hommes sont prêts à partir dès que vous donnerez vos ordres.
Aethel posa une main sur son épaule, un geste rare venant d’un souverain.
— Prépare-toi, Liora. Rend toi à Eldrastor et reviens avec nos guerriers victorieux contre Argone. Cette menace marquera peut-être le début d’une guerre, mais elle ne verra jamais l’effondrement de notre royaume.
Les éclairs zébraient encore le ciel au-dessus de Valgor, mais dans le regard du roi et de son espionne, une flamme s’était allumée : celle de la volonté indomptable des Shael'thoriens.
Le soleil déclinait sur les marais de Solvor, à l'est de Valgor. Ses rayons déformés par les volutes de brume flottant sur les eaux noires et stagnantes. Les lieux, sinistres et silencieux, portaient une odeur âcre de putréfaction et de végétation en décomposition. Des roseaux hérissés émergeaient des eaux troubles, comme des lames défiant les cieux. C'était un territoire hostile, où même la lumière semblait hésiter à pénétrer. Liora, l'espionne d'Aethel, l'avait informé d'une présence massive des barbares dans ces marais pouvant menacer la stabilité de la région.
À l’avant de son armée, monté sur un lion à la crinière d'or, le roi Aethel observait les environs avec méfiance. Le roi d'Aethel, drapé dans une armure forgée dans l'acier du désert, portait un regard déterminé malgré la moiteur suffocante qui collait ses mèches noires à son front. Son lion, une créature imposante et majestueuse, avançait lentement, ses griffes labourant le sol spongieux avec prudence.
Autour de lui, ses guerriers d'Eldrastor et de Valgor formaient l'élite. Les survivants de l'ombre d'Argone avançaient en formation serrée, leurs bannières flottant faiblement dans l’air chargé d’humidité. Les lions de guerre grognaient, troublés par cette terre étrangère où chaque pas semblait aspirer leur énergie. Mais, dans cette inquiétude, Aethel affichait une détermination inébranlable. Il leva une main gantée pour ordonner l'arrêt.
— "Ralentissez. Ces marais ne sont pas qu’un obstacle... ils sont une menace," déclara-t-il d’une voix grave.
À cet instant, un cri résonna, suivi d’un sifflement mortel. Une pluie de flèches fendit la brume, frappant sans relâche. Les hurlements des blessés et les rugissements des lions percèrent le silence morbide. Les marais de Solvor avaient tendu leur piège.
Les troupes d’Aethel se désorganisèrent rapidement. Les éléphants, majestueux mais maladroits dans ce bourbier, s’effondrèrent, piégés par des fosses dissimulées sous l’eau. Les bandits, surgissant de la brume tels des spectres, frappèrent avec une précision létale. Les soldats, embourbés jusqu’aux genoux, n’avaient aucune chance de riposter efficacement.
Aethel, au cœur du chaos, fendit la masse des ennemis de sa lame scintillante, son visage durci par la rage et le désespoir. Ses cris résonnaient comme des éclairs dans la tempête :
— "Tenez vos positions ! Ne cédez pas à la peur ! Ils ne doivent pas nous briser !"
Mais malgré sa bravoure, il vit ses hommes tomber un à un. Le sol, saturé de sang et d’eau, devint le tombeau d’innombrables guerriers et bêtes.
Un guerrier d'élite loyal, le visage couvert de boue et de sueur, s’approcha en titubant.
— "Majesté, nous sommes encerclés. Il faut fuir. Vous devez vivre pour guider notre royaume, nous allons ouvrir une brèche dans laquelle vous vous engouffrez pour sauver votre vie"
Aethel serra les dents, le poids de la décision écrasant son cœur. Il comprit que rester signifiait la mort de tous, sans espoir de rétribution. Il brandit son épée une dernière fois et hurla :
— "Guerriers de Shael'Thor, Kharon vous regarde faites lui honneur !"
Les guerriers, malgré leurs blessures et leur fatigue, se regroupèrent autour de lui. Leur sacrifice permit à Aethel et une poignée de fidèles de se retirer, traversant les eaux traîtresses sous une pluie incessante de flèches.
De retour à Elvas, le roi, couvert de boue et de sang séché, fut accueilli par un mélange de murmures et de regards lourds. Certains parlaient de lâcheté, d’autres voyaient en lui un héros prêt à supporter le poids de l’infamie pour préserver son peuple.
Dans l’intimité de ses appartements, Aethel, assis devant une carte de Waryaume, fixait un point imaginaire, perdu dans ses pensées. Son regard portait la douleur des vies perdues et la promesse de vengeance.
— "Un jour... je reviendrai à Solvor. Et je laverai ces marais du sang versé."
Ainsi naquit une flamme nouvelle dans le cœur du roi. Cette défaite, bien que cuisante, forgea en lui une détermination sans égale. Car Aethel n’était pas seulement un roi tombé... il était un roi qui se relèverait.
La troisième Legacy marqua une époque d’ombres et de lumière mêlées, où les larmes des défaites nourrirent les graines d’un renouveau inattendu. Aethel, roi écorché par les épreuves, se tenait au seuil de sa transformation, un homme dont les cicatrices racontaient une histoire de souffrance, mais aussi de survie.
Les terres de Shael’thor, autrefois fertiles, semblaient avoir succombé au poids de la famine et des ténèbres d’Argone. Les champs, maintenant noirs et stériles, étaient bordés par des palissades renforcées, où les villageois plantaient des torches éternelles pour repousser les créatures de la nuit. À Eldrastor, la cité d'or de la Shael’maara Zahraya, des charrettes lourdes de pierre et de fer roulaient lentement, symboles de la reconstruction des greniers fortifiés. Au loin, l’écho sourd des marteaux résonnait, mêlé aux prières des paysans qui relevaient leurs terres à la sueur et au sang.
Aethel parcourait ces lieux, l’ombre d’un sourire perdu sur ses lèvres. Il savait que chaque pierre posée et chaque grain semé était un acte de résistance contre l’obscurité. Mais c’est à Valgor, la cité des érudits, que se trouvait une autre clé pour l’avenir du royaume. Là, les plus brillants esprits de Brillendal étudiaient la Gorge Noire, cette faille abyssale ouverte par l’influence d’Argone. Les grimoires anciens et les fresques lugubres racontaient des vérités sur les morts-vivants et leurs maîtres. Aethel passait de longues heures à écouter ces savants, cherchant une lueur dans leur savoir pour libérer son peuple.
Cependant, c’est sur le souvenir des marais de Solvor que le roi revenait sans cesse, hanté par les images de ses guerriers d'élite engloutis par les eaux noires. Les brumes étouffantes de ce lieu persistaient dans son esprit, comme si elles cherchaient à le retenir dans un cauchemar perpétuel. Les avant-postes qu’il avait ordonné d’ériger dans cette région n’étaient pas seulement des fortifications ; c’étaient des témoignages de sa détermination à ne plus jamais laisser le terrain dicter le sort de son armée.
Un soir, alors que les flammes dans la grande salle du Shael'kaethryn d’Eldrastor vacillaient sous le souffle du vent hivernal, Aethel se tint devant ses conseillers, ses traits marqués par la fatigue mais ses yeux brûlant d’un feu nouveau.
— « Chaque pierre que nous posons, chaque graine que nous semons, est un défi lancé aux ombres. Nos défaites, aussi amères soient-elles, ne nous définissent pas. Ce que nous faisons à présent, c’est bâtir non seulement des murs, mais aussi une mémoire. Une mémoire pour ceux qui viendront après nous, afin qu’ils sachent que Shael’thor s’est tenu debout, même lorsque tout semblait perdu. »
Les murmures des conseillers s’éteignirent. Le roi s’avança vers la table, posant sur elle une carte marquée des cicatrices de guerres passées.
— « Nous ne pouvons effacer ce qui s’est produit dans les marais, ni ressusciter ceux qui sont tombés. Mais nous pouvons honorer leur sacrifice en devenant plus forts. Les ténèbres nous ont brisés, oui, mais elles ont aussi forgé une arme. Et cette arme, c’est notre résilience. »
Le silence s’alourdit, jusqu’à ce qu’un vétéran des marais se lève, son bras gauche remplacé par une prothèse rudimentaire.
— « Majesté, je suis prêt à retourner à Solvor. Pour bâtir. Pour protéger. Pour combattre. Nous le sommes tous. »
Un à un, les guerriers et conseillers levèrent leurs poings ou posèrent leurs armes sur la table en signe d’allégeance. Une nouvelle flamme naquit dans cette salle glacée, une chaleur issue de la foi renouvelée en leur roi.
L’héritage d’Aethel prit alors une tournure inattendue. Ce n’était plus celui d’un roi brisé par ses erreurs, mais d’un homme imparfait, galvanisé par la volonté de ne plus faillir. Les peuples de Shael’thor, inspirés par cet exemple, redoublèrent d’efforts. Là où les morts-vivants de l’Ombre s’attendaient à trouver un royaume à genoux, ils découvrirent des villages fortifiés et des armées entraînées, prêtes à défier même les ténèbres éternelles.
Ainsi, la lumière perça les ombres. Elle n’effaça pas les cicatrices, mais les transforma en symboles de force et de renaissance. Le roi Aethel, devenu une légende vivante, n’était pas un héros parfait, mais un homme façonné par la douleur, guidé par la sagesse et animé par un amour indéfectible pour son peuple.