Skarnjoll, jadis carrefour de cultures et de rivalités, s’éveilla un matin dans un silence de mort. Les quartiers lunariens, d’ordinaire animés de marchands et de prêtres, étaient désertés. Nulle trace de lutte, nul cadavre, seulement l’absence, oppressante, inexplicable.
Les Noviens, revenus majoritaires dans la cité, murmurèrent des hypothèses : une fuite nocturne vers les îles du sud ? Une purge secrète ? Mais les anciens, eux, évoquaient une autre explication, plus sombre : quelque chose avait pris les Lunariens, une force insaisissable qui ne laissait ni témoins, ni indices.
Atanael, Thane de Skarnjoll, se tint debout devant son conseil, le regard plongé dans l’ombre de ses propres doutes. Cette disparition coïncidait avec d’autres signes inquiétants : des cris résonnaient dans les galeries sous Yrnmaul, la montagne sacrée des forgerons. Des veines de feu s’ouvraient dans la roche, libérant une lueur écarlate comme le sang d’une bête blessée.
Il fallait agir. Et pour cela, Atanael se tourna vers Thrain Ulfgard, le puissant Thane de Jorndall, cité du sud ouest de Novania dont les guerriers étaient réputés pour leur force indomptable et leur maîtrise du fer.
Lorsque Thrain Ulfgard franchit les portes de Skarnjoll, la neige couvrait encore son armure d’écailles d’acier. Le seigneur du sud n'avait pas l'habitude des températures nordiques. Ce colosse à la barbe tressée et au regard de glace, s’inclina à peine devant Atanael, signe d’un respect mesuré mais sincère.
— On dit que ta cité est frappée par un mal inconnu, gronda Thrain. Et que les ombres s’étendent sous les montagnes.
— La disparition des Lunariens n’est que le premier signe, répondit Atanael d’une voix grave. Yrnmaul gronde, et ceux qui y descendent n’en reviennent pas.
Le guerrier de Jorndall croisa les bras, son sourire se durcissant.
— Si nous prêtons nos lames, ce sera en échange d’une place à Skarnjoll, pour nos familles et nos forgerons.
Atanael hocha lentement la tête.
— Tu exploites les montagnes de Kharon à Drakejell, et nous aurons besoin de vos marteaux et de votre acier, Thrain. Soit. Jorndall et Skarnjoll seront liés par ce pacte.
Ainsi naquit l’Alliance de l’Acier et du Givre, unissant deux bastions que tout opposait géographiquement, mais unit par le Conseil de Fer contre la menace qui se tapissait sous la roche.
Alors que les premières troupes de Jorndall s’installaient à Skarnjoll, une rumeur se propagea vers Skavorn, à travers les tavernes et les marchés : un démon rôdait sous les entre Veines de Feu d’Yrnmaul et le village eldorien.
Les légendes parlaient d’un ancien fléau, scellé sous la montagne par les premiers forgerons, un esprit de braise et de cendres qui se nourrissait des âmes des vivants. Aujourd’hui, les galeries s’effondraient sous la pression de son réveil, et les rivières de feu s’étendaient comme des veines d’un cœur enragé.
C’est alors qu’un nouveau héros se leva : Bjorn Hraldir, guerrier et maître-forgeron, portant sur son torse les cicatrices des flammes. Il descendit dans les profondeurs, seul, armé d’un marteau runique gravé des symboles du dieu Kharon.
Lorsque Bjorn revint, ses yeux n’étaient plus les mêmes. Il avait vu l’indicible. Et il apportait avec lui un nom que nul ne devait prononcer mis à part les Thanes : "Dornskir Baal’Zherak "
L’histoire de Skarnjoll venait de basculer dans une nouvelle ère d’effroi et de guerre.
Les Marais de Solvor – Un champ de ruines et de murmures
Le crépuscule pesait sur les marais de Solvor, une chape d’ombres épaisses se refermant lentement sur la terre gorgée de sang et d’histoire. Les eaux stagnantes, noires comme l’oubli, exhalaient des brumes vénéneuses où erraient les âmes damnées des guerriers tombés. Des totems de crânes et de lances brisées parsemaient les berges boueuses, témoins de la domination barbare du clan Rokthar.
Et pourtant, au cœur de ce territoire maudit, un feu brûlait encore. Une lueur ténue, vacillante, mais inflexible : l'espoir d’un peuple refusant de céder aux ténèbres.
Sous la lueur pâle de Shibaya, deux silhouettes se tenaient aux abords d’un promontoire de pierre, surplombant la brume sinistre de Solvor. L’une était Valhoryn Kaëdrak, commandant des Shael’ir, vêtu de noir et d’or, la main effleurant le pommeau de ses sabres comme un souffle sur la tempête à venir. L’autre était une femme, drapée dans une cape de plumes d’ébène, son regard perçant la nuit avec la clarté d’une étoile mourante.
Elle était Liora, espionne et stratège d'Aethel, une femme dont la présence imposait le silence et l’admiration.
— « Alors c’est vrai… », souffla Liora, brisant le silence seulement troublé par le lointain cri des fauves nocturnes. « Solvor n’est plus qu’un cimetière hanté. »
Valhoryn inclina lentement la tête.
— « Un cimetière… et un piège. Ceux qui s’y aventurent n’en reviennent jamais. »
Liora s’approcha, posant ses doigts gantés sur la garde d’un poignard effilé. Son regard se perdit un instant dans la nuit insondable avant de se fixer sur le guerrier aux yeux d’or.
— « Nous devons frapper. »
Valhoryn esquissa un sourire en coin, mi-arrogant, mi-amusé.
— « Voilà bien une déclaration digne d’une Novienne. Frapper, mais comment ? Nous ne sommes qu’une poignée, et eux, une marée. »
Elle lui fit face, un éclat de défi brillant dans son regard d’acier.
— « Nous frapperons là où leur foi est la plus fragile. Ils vénèrent Argone, mais ils ne connaissent pas sa peur. Je leur montrerai la terreur qu’inspire un vrai combat. »
Valhoryn la détailla un instant, appréciant ce mélange en elle de froide détermination et de feu indomptable.
— « Tu es prête à plonger dans la gueule de l’ombre pour raviver la lumière ? »
Liora esquissa un sourire énigmatique.
— « Je ne suis pas née pour contempler le monde s’effondrer sous l’emprise des ténèbres. »
Le commandant s’autorisa un léger rire avant de croiser les bras, l’ombre d’un respect nouveau dans son regard doré.
— « Alors marchons ensemble, Liora. Jusqu’à ce que la brume se lève… et que Solvor se souvienne de notre nom. »
Sous la lune voilée, ils se tinrent là un instant, deux âmes en équilibre sur le fil du destin. L’aube prochaine verrait la guerre, le sang et la douleur. Mais en cet instant, dans l’obscurité des marais, il n’y avait qu’eux, porteurs d’un espoir fragile, brûlant d’une intensité inextinguible. Tous les Shael'irs
La sixième Legacy plonge Shael’thor dans une nouvelle ère de tensions et de défis. Tandis que les marais de Solvor deviennent un coupe-gorge infesté de barbares, des initiatives naissent pour protéger la population et préparer la riposte. Cette Legacy est marquée par des alliances renouvelées, des migrations, et une volonté farouche de résister à la corruption d'Argone.
Au crépuscule de la bataille qui eut lieu dans les marais, le silence retomba sur les marais de Solvor, brisé seulement par le clapotis lent de l’eau noire contre les racines tordues. La bataille avait été terrible, une danse macabre où les cris des mourants s’étaient mêlés au fracas des armes. Désormais, seul le vent nocturne portait les soupirs des âmes arrachées à la vie.
Liora, le visage encore maculé de sang et de suie, se tenait sur un promontoire rocheux, dominant le champ de bataille. À ses côtés, Valhoryn Kaëdrak essuyait la lame de son épée couverte d’ichor, son regard d’acier rivé sur l’horizon incertain.
Derrière eux, les Shael’Ir, ces âmes dévouées à Kharon, s’agenouillèrent parmi les cadavres, murmurant des prières de guerre. Ils avaient triomphé, et pourtant, la victoire avait un goût amer.
Liora s’agenouilla, plongeant les doigts dans la vase poisseuse où des corps flottaient déjà, leurs armures déchirées luisant sous la lumière spectrale de la lune.
— Nous avons gagné, souffla-t-elle, plus pour elle-même que pour quiconque.
Valhoryn tourna lentement la tête vers elle.
— Non, Liora. Nous avons seulement semé une nouvelle guerre.
La Shael’Ir releva les yeux vers lui, une lueur d’incompréhension dans le regard.
— Que veux-tu dire ?
Il écarta les bras, désignant les cadavres innombrables qui s’enfonçaient dans la boue.
— Regarde autour de toi. Tous ces morts… nous les avons abandonnés.
Un frisson glacé parcourut l’échine de Liora alors qu’elle prenait conscience de l’ampleur du massacre. L’eau sombre des marais n’engloutissait pas seulement les corps : elle les préservait, les nourrissait, les transformait. Déjà, une odeur pestilentielle montait des mares stagnantes, une odeur de mort qui n’en était pas une.
— Ils ne trouveront jamais le repos… murmura-t-elle.
Valhoryn serra les poings.
— Non. Et Valgor en paiera le prix.
Ils restèrent silencieux un instant, contemplant cette ombre rampante qui s’étendait sur le champ de bataille. Les eaux de Solvor avaient bu trop de sang ce soir. Et ce sang nourrirait quelque chose d’ancien, quelque chose d’inconnu.
Liora ferma les yeux, murmurant une prière pour les âmes perdues. Mais au fond d’elle, une certitude s’imposa : les ombres de Solvor ne s’éteindraient jamais.
Elles s’étendaient déjà, prêtes à dévorer Valgor.
Les vents d’Eldrastor charriaient encore l’odeur âcre des encens et des fièvres, témoins silencieux des maux qui rongeaient la cité. Depuis des années, la maladie persistait, insidieuse, défiant les remèdes et les prières. La population, le regard cerné par l’angoisse, levait les yeux vers les cieux, implorant Shibaya de purifier l’air vicié qui emplissait les rues pavées d’histoire.
Alors, en Shibaya 6, les bâtisseurs s’élevèrent contre le mal non par les armes, mais par la foi.
Le temple de Shibaya, dédié à la lumière et à la vie, vit le jour à quelques pas de l’ancien sanctuaire d’Argone, dieu de l’ombre et de la mort. Une structure baignée de clarté, où des vitraux ciselés diffusaient des couleurs éclatantes sur les murs d’albâtre. Des colonnes sculptées en formes d’arbres fruitiers entouraient l’autel central, et les prêtres, drapés de robes vertes et dorées, murmuraient des hymnes de guérison au rythme des clochettes de cristal.
Mais sous cette splendeur nouvelle, un mal grondait. Une tension invisible, un équilibre fragile entre deux forces opposées.
Dans la pénombre des couloirs menant au temple d’Argone, Thar'Zul, grand prêtre de l’Ombre, marchait d’un pas lent et mesuré. Sa cape de jais glissait sur le sol de marbre noir, et ses yeux, d’un gris impénétrable, fixaient l’horizon avec une curiosité teintée d’irritation.
Face à lui, à la lisière de la lumière, se tenait Isilëa Dornwyn, grande prêtresse de Shibaya. Drapée d’un manteau de lin ivoire, sa silhouette semblait baignée d’une lueur irréelle, comme si les rayons du soleil s’attardaient à ses côtés plus qu’ailleurs.
Elle le fixa avec une sérénité tranchante.
— « Nos temples battent au même rythme que cette ville. Et pourtant, son cœur est malade. »
Thar'Zul arqua un sourcil, amusé par l’audace sous-jacente dans sa voix douce.
— « Peut-être est-ce parce qu’un cœur ne peut battre à la fois pour la vie et pour la mort. »
Isilëa s’approcha, ses pas résonnant à peine sur le marbre poli.
— « Ou bien parce qu’un cœur qui n’affronte pas ses ténèbres n’apprendra jamais à embrasser la lumière. »
Un silence s’étira entre eux, traversé seulement par les échos lointains des prières murmurées dans chacun des temples. Thar'Zul inclina légèrement la tête, détaillant la femme devant lui. Elle n’était pas une novice illuminée, bercée d’illusions. Non, elle portait en elle une force aussi douce que tranchante, une lumière capable de traverser les ombres les plus épaisses.
— « Et quand viendra l’inévitable ? », murmura-t-il enfin, son regard s’attardant sur l’immense rosace du temple de Shibaya, où des motifs floraux semblaient vibrer sous la lumière du couchant. « Lorsque nos prières ne suffiront plus ? »
Isilëa esquissa un sourire empreint d’une tristesse lumineuse.
— « Alors nous verrons si la lumière peut subsister sans l’ombre, ou si l’ombre peut exister sans la lumière. »
Une brise souleva leurs capes, entremêlant le tissu noir et blanc dans un même souffle éphémère.
Et ainsi, Eldrastor demeura en équilibre sur un fil d’argent, oscillant entre la bénédiction et la damnation, entre la vie et la mort. Jusqu’au jour où les dieux eux-mêmes viendraient réclamer leur dû.
En cette sixième legacy durant la saison d’Irkay, lorsque le feu céleste consumait les brumes du matin, la clameur de Brillendal s’éteignit. Sur la place centrale, où se croisaient jadis marchands et artisans, une ombre nouvelle s’imposait. Haute et impassible, sa silhouette noire tranchait contre le ciel d’azur : une potence, dressée au cœur de la cité, promesse de justice et de châtiment.
Le bois, vieilli par le sel des montagnes, portait les marques d’anciennes sentences. Son bras tendu vers la foule semblait une menace silencieuse, un avertissement plus tranchant qu’une lame. À ses pieds, le gouverneur Vael’rrash Thir’zahor, drapé de son manteau d’onyx, faisait face à la population rassemblée.
Son regard d’acier balaya l’assemblée, cherchant les âmes encore récalcitrantes.
— « Brillendal ne pliera pas sous la discorde. »
Sa voix, froide comme l’éclat d’une dague, s’éleva au-dessus des têtes courbées.
— « Les murmures d’insurrection ont souillé nos rues. Les lâches qui attisent ces flammes dans l’ombre seront exposés à la lumière. Et la lumière, mes amis, ne pardonne pas. »
Un silence pesant répondit à ses paroles. Seuls les cris lointains des goélands osaient troubler l’ordre qu’il venait d’instaurer.
Les jours suivants virent une transformation brutale de la cité. Là où régnait l’incertitude, une discipline de fer s’installa. Les voleurs redoutaient désormais les ombres du soir, les fauteurs de troubles murmuraient leur rage au lieu de la hurler, et les citoyens, jadis craintifs, osaient à nouveau arpenter les places sans craindre les embuscades des bas-fonds.
Mais dans l’obscurité des ruelles, un autre son s’éleva : celui des promesses de vengeance, des dagues affûtées dans le secret des alcôves.
Et au pied de la potence, le vent d’Irkay, chargé des parfums de la mer, chuchotait une vérité connue de tous : la peur n’achète que du temps.
Car sous le masque du silence, Brillendal n’avait pas oublié sa colère.
Le Retour vers Dreylorn
Après des semaines passées à Valgor, Ilana la guérisseuse et Kaelhor Arath’Zem, un ancien fermier de Dreylorn, entreprirent leur retour vers leur ville natale. Ils n’étaient plus seuls. À bord du Serpent d’Argent, navire commandé par Kaelen, ils voguèrent à travers les eaux troublées jusqu’aux côtes dévastées de leur foyer. Kaelhor, marqué par les horreurs du Cauchemar Gris, connaissait mieux que quiconque la souffrance qui y régnait.
Lorsqu’ils posèrent pied à terre, l’air portait encore l’odeur de la cendre et du sang séché. Dreylorn n’était plus qu’un spectre du passé, un souvenir vivant à l’agonie. Pourtant, l’espoir persistait. Ilana et Kaelhor n’étaient pas revenus pour pleurer les ruines, mais pour sauver les âmes qui y survivaient encore.
Le vent soufflait sur Dreylorn comme un soupir d’agonie. Les toits de chaume, noircis par les cendres de bûchers funéraires, semblaient ploier sous le poids du désespoir. Dans les ruelles étroites, les silhouettes faméliques des villageois se pressaient, empaquetant le peu de biens qu’ils possédaient. L’ombre d’Argone gagnait du terrain, et chaque jour, la maladie, la mort et la folie s’infiltraient un peu plus dans le cœur des hommes.
Parmi eux, Ilana, la guérisseuse, serrait un petit coffre contre sa poitrine. Il contenait les derniers remèdes que son père lui avait confiés avant de succomber à la corruption. Elle refusait de voir mourir d’autres âmes sous les griffes de l’obscurité.
— Nous devons partir avant la tombée du jour, déclara-t-elle d’une voix ferme, s’adressant à la foule rassemblée devant la grande place. Yrwood est notre seul espoir.
À ses côtés, Kaelhor gardait le silence. Ses mains calleuses portaient encore les stigmates du travail des champs, mais son regard trahissait une autre douleur, plus profonde. Il avait vu Dreylorn sombrer sous le Cauchemar Gris. Il avait survécu. Mais combien d’autres n’avaient pas eu cette chance ?
— La forêt est vaste, souffla-t-il enfin. Et elle n’appartient à personne.
Ilana tourna son regard vers lui. Il n’avait rien d’un éclaireur, rien d’un guerrier. Il était un homme brisé, portant sur ses épaules le poids de ce qu’il avait perdu. Et pourtant, dans ses paroles, elle perçut une certitude inébranlable.
— Tu es certain que nous serons en sécurité là-bas ?
Kaelhor haussa légèrement les épaules.
— La sécurité est un luxe. Ce que nous trouverons à Yrwood, c’est une chance de recommencer.
Le Chemin de l’Espoir
Le convoi s’ébranla, long serpent de silhouettes courbées sous le poids de la fatigue et du chagrin. Les enfants marchaient en silence, les vieillards s’appuyaient sur des bâtons noueux, et les guerriers tenaient leurs lames dégainées.
La forêt d’Yrwood se dévoila au crépuscule. Ses hautes cimes d’émeraude semblaient plonger le monde dans une pénombre bienveillante, offrant un abri contre les cieux corrompus de Dreylorn. L’odeur de la mousse et de la sève mêlait une promesse d’apaisement à la prudence des lieux sauvages.
Ilana posa une main sur son pendentif d’argent, un vestige de sa mère, et murmura une prière.
— Nous sommes arrivés…
Un mouvement attira son attention. Kaelhor s’était arrêté devant elle et tendait la main, paume ouverte, dans laquelle reposait une fleur de lumière, rare plante luminescente qui ne poussait que dans les cœurs immaculés de la forêt.
— Sylvanis, dit-il doucement. C’est ainsi que nous nommons ce refuge.
Ilana leva les yeux vers lui. Il n’avait jamais paru aussi proche, ni aussi fragile.
— Pourquoi fais-tu tout cela pour nous, Kaelhor ? demanda-t-elle dans un souffle.
L’ancien fermier baissa un instant les yeux, comme si une ombre traversait son âme. Puis, il planta son regard dans le sien, d’une intensité brûlante.
— Parce que j’ai déjà vu ce que l’ombre d’Argone fait aux cœurs brisés. Et je refuse que cela t’arrive.
Ilana sentit son cœur vaciller. Dans ce monde en ruine, où l’obscurité étendait son règne, il restait encore des âmes prêtes à rallumer la flamme de l’espoir.
Et sous les branches d’Yrwood, dans le sanctuaire de Sylvanis, commença l’histoire de leur renaissance.
Le vent du sud soufflait sur Elvas, chassant les derniers vestiges de la peste qui avait ravagé Valgor. Aethel, silhouette drapée dans une cape aux broderies d’or, chevauchait aux portes de la ville, escorté de quelques cavaliers. Son retour était un présage, une lueur d’espoir pour ceux qui avaient enduré la noirceur du Cauchemar Gris.
Les portes s’ouvrirent dans un grondement, et Kaërim Sahr’Zun, son fidèle serviteur et gouverneur d’Elvas, s’avança. Son visage, marqué par les longues nuits de veille, trahissait une inquiétude plus grande encore. Il s’inclina respectueusement avant de prendre la parole.
— Majesté… votre présence honore ces murs, mais une ombre s’étend au nord.
Aethel mit pied à terre, le regard perçant.
— Parle, Kaërim. Quelle menace pèse sur Elvas ?
Kaërim jeta un coup d'œil aux cavaliers qui escortaient le roi, puis baissa la voix.
— Les mines de Gorath ne sont plus à nous.
Aethel plissa les yeux.
— Que veux-tu dire ?
— Des bandits, sire. Pas de simples voleurs de grands chemins. Ce sont des hommes disciplinés, organisés. Ils ont pris les mines par la force et réduisent nos mineurs en esclavage.
Un silence pesant s’installa. Gorath n’était pas qu’une simple exploitation de minerai. C’était le cœur battant de la forge elvasienne, l’âme de son acier.
Aethel croisa les bras, son regard d’ambre brillant sous la lumière du crépuscule.
— Quel est leur nombre ? Qui les dirige ?
— Nos éclaireurs peinent à s’approcher. Ceux qui sont revenus parlent d’un chef cruel, dont le nom court parmi les prisonniers comme une malédiction : Varik le Rouge.
Aethel se détourna, fixant l’horizon, là où les mines de Gorath se fondaient dans la roche sombre des montagnes du nord. Chaque seconde d’inaction nourrissait l’ennemi, arrachait des vies à son peuple.
Kaërim s’avança d’un pas.
— Majesté… Nous pouvons attendre de rassembler nos forces. Mais si nous tardons trop…
Aethel leva une main pour le faire taire. Son regard était déjà ailleurs, au-delà des murailles, là où les chaînes tintaient sous les coups de fouet.
— Nous ne tarderons pas.
Les Flammes de la Révolte
La nuit enveloppa Elvas de son manteau d’ombres. Dans la salle du conseil, une carte était déployée sur une table de chêne. Autour d’elle, Aethel, Kaërim et les chefs de guerre débattaient.
— Nous frapperons avant l’aube, déclara Aethel d’un ton tranchant. Le fer de Gorath appartient au peuple, pas aux charognards.
Kaërim hocha la tête, le regard dur.
— Nos hommes sont prêts à mourir pour cela, mais Varik est un stratège. Il ne tombera pas sans un combat sanglant.
Aethel posa un doigt sur la carte, effleurant les lignes accidentées des montagnes.
— Alors nous ne lui laisserons pas le choix.
Son regard se leva, embrasant la salle d’une lueur farouche.
— Cette nuit, nous ne reprenons pas seulement une mine. Nous reprenons notre fierté.
Le vent du matin sifflait sur les crêtes de Gorath, charriant avec lui l’odeur âcre du fer et du sang. Aethel ajusta sa prise sur la garde de son épée, son regard d’ambre braqué sur les contreforts abrupts qui surplombaient les mines. Autour de lui, ses hommes, dissimulés dans les ombres des rochers, attendaient le signal.
En contrebas, les bandits s’éveillaient à peine, ignorant que leur règne de terreur touchait à sa fin. Varik le Rouge, immense silhouette bardée d’acier noirci, donnait ses ordres d’une voix grave et rauque.
Kaërim Sahr’Zun se glissa aux côtés du roi et chuchota :
— Il est là. À ta gauche, près des feux.
Aethel observa l’homme. Une brute à la chevelure rouge sang, drapée dans une cape volée à quelque capitaine déchu. Ses yeux étaient ceux d’un prédateur qui ne craint rien… et il avait tort.
Le roi inspira profondément, puis leva le poing.
— Maintenant.
Le Choc de l’Acier
Les archers embusqués décochèrent leurs flèches en silence. Le premier rang des bandits tomba avant même d’avoir compris d’où venait la mort. Un hurlement déchira l’air tandis qu’une seconde volée s’abattait sur le camp.
— À l’attaque ! tonna Aethel, bondissant du haut de la crête.
Ses hommes jaillirent des ombres et fondirent sur les brigands comme une vague d’acier implacable. Les hors-la-loi, pris au dépourvu, tentèrent de s’organiser, mais la confusion était totale.
Kaërim, l’épée au clair, fendit les rangs ennemis, tranchant les gorges avec une efficacité froide. Les mineurs, enchaînés aux rochers, criaient à l’aide.
Au centre du carnage, Varik le Rouge rugit. Dégainant sa hache à double lame, il fendit le crâne d’un soldat elvasien d’un coup sec, avant de se tourner vers Aethel.
— Alors voilà le roi d’Elvas ? cracha-t-il en avançant, la hache ensanglantée. Un guerrier ou juste un noble en quête de gloire ?
Aethel fit tournoyer son épée, impassible.
— Un roi n’a pas besoin de parler. Son épée le fait pour lui.
Et il frappa.
Le choc de l’acier résonna à travers la vallée. Varik para le coup avec sa hache, mais Aethel enchaîna immédiatement, rapide comme l’éclair. L’épée du roi fendit l’air, traçant des arcs mortels autour du bandit.
Varik recula, grognant. Il était fort, mais Aethel était plus rapide.
Le bandit tenta une attaque brutale, visant les côtes du roi. Mais Aethel pivota avec grâce et, dans un éclair d’argent, transperça la poitrine du brigand.
Varik s’immobilisa. Son souffle devint rauque, puis il tomba à genoux. Le sang coula sur la poussière noire des mines.
Aethel le regarda une dernière fois, sans haine, avant de murmurer :
— Tu ne déroberas plus jamais le fer de mon peuple.
D’un geste, il retira son épée, et Varik s’effondra, son règne terminé.
L’Aube d’un Nouveau Jour
Les derniers bandits, voyant leur chef mort, jetèrent leurs armes. Les soldats elvasiens libérèrent les mineurs encore en vie, leurs chaînes brisées par la volonté du roi.
Kaërim s’approcha d’Aethel, essuyant son épée d’un revers de gant.
— Les mines sont à nous, Majesté.
Aethel observa l’horizon, où le soleil levant peignait le ciel de pourpre et d’or.
— Elles ne nous ont jamais quittés.
Et ainsi, Gorath fut reprise, et l’acier d’Elvas put à nouveau nourrir la forge de la guerre.