La brise tiède de Shibaya caressait les herbes hautes autour de la fosse commune de Hrymgald, désormais figée sous des pierres grises et des glyphes brisées. Mais l’air avait changé. Les corbeaux ne s’éloignaient plus. Les arbres se penchaient vers le tertre comme s’ils pleuraient des racines. Une malédiction rampait là, invisible mais oppressante.
Les prêtres de Kharon, venus en pèlerinage pour honorer les morts, quittèrent le site en silence, le visage blême.
— Le sommeil leur est refusé, souffla l’un d’eux à Thrain Ulfgard.
— Argone… répondit le Thane avec une voix dure comme le roc. Il n’a pas digéré sa défaite.
Il fit sceller les abords du tertre par des pieux runiques et ordonna que nul ne s’en approche sans autorisation du Conseil de Fer. Car les rêves étaient devenus hantés, les cris des morts s’élevaient la nuit comme un chœur funeste. La fosse était désormais connue comme “Les Larmes des Guerriers”.
Le banquet avait lieu sous les hautes voûtes de Skarnjoll, ornées d’étendards anciens et de fresques racontant les âges passés. Les murs étaient gravés de runes protectrices, car même les pierres ici savaient écouter.
Atanael, vêtu de blanc et d’or, portait la Couronne du Feu Écarlate que seul le Hérault de Kharon détient. À sa droite, Bjorn Hraldir, rajeuni par l’espoir mais marqué par l’échec d’Yrnmaul, faisait honneur aux mets sans dire un mot.
Soudain, les lourdes portes s’ouvrirent, laissant entrer la brume du dehors. Un silence traversa la salle.
Sigrhild Varka, Dame de Varkhalla, apparut dans l'encadrement, flanquée de deux loups au pelage cendré, leurs yeux dorés brillant d’une intelligence presque humaine. Elle ne souriait pas, ne saluait pas encore.
Ses cheveux argentés tombaient sur ses épaules comme les neiges de l’Ancienne Tundra. Elle portait une armure de cuir clouté, marquée par les crocs d’un animal qu’aucun n’osa nommer.
— Vous voici enfin, Dame du Nord, lança Atanael en se levant.
— Nous venons comme promis, répondit-elle d’une voix douce, mais tranchante. Varkhalla honore sa parole. Par les vents et les veines gelées de nos montagnes, nous sommes vôtres, désormais.
Elle s’avança, les loups sur ses talons, chacun dominant un homme en taille et en majesté.
— Ces bêtes... murmura Bjorn en s’inclinant. Ils n’ont pas la peur dans les yeux.
— Parce qu’ils connaissent la fin, répondit Sigrhild. Ils ont vu ce que nous n’osons rêver. Ils sont mes confesseurs.
Atanael s’approcha et posa sa main sur son cœur.
— Par Kharon, je t’accueille au sein de notre pacte. Que l’alliance d’Aldonia et de Varkhalla soit scellée par le fer et le sang. Et que l’ombre recule devant nos flammes.
Sigrhild posa un genou au sol. Les deux loups firent de même.
— Que les lames de mes guerriers soient les vôtres, et que ma vie soit livrée si tel est le prix de cette lumière.
— Tu parles comme une prêtresse de guerre, dit Bjorn en souriant pour la première fois depuis Yrnmaul.
— Car je fus formée par l’une d’elles, répondit-elle simplement, l’ombre d’un passé dans les yeux.
Plus tard, tandis que les chants de célébration s’élevaient et que le vin coulait, Atanael quitta la table pour s’entretenir seul avec la Dame de Varkhalla dans les jardins suspendus.
— Vos loups… Ils vous obéissent comme à une mère. Ce ne sont pas de simples bêtes.
— Non, murmura Sigrhild. Ils sont nés à la croisée des mondes. Nés la nuit d’une éclipse, quand Argone a tenté de prendre mon frère à sa naissance.
— Et l’a-t-il pris ?
— Non. Mais il m’a laissé un fragment de son souffle. Depuis, les bêtes me suivent. Elles savent ce que je porte.
Elle ouvrit légèrement son gantelet. La peau de son poignet portait une marque : une rune ancienne, palpitante, comme brûlée dans sa chair.
— Cela ne vous effraie pas, seigneur Atanael ?
— Non. Car tout ce que le feu a léché peut être purifié. Et tout ce que la lumière ne voit pas peut être ramené à elle.
L’alliance était scellée. Mais un feu noir veillait au cœur de cette paix fragile. Et dans les ombres, Dornskir Baal’Zherak rassemblait ses armées de possédés dans les cavernes enflammées d’Yrnmaul.
Car la guerre à venir ne se jouerait pas qu’avec des épées. Elle demanderait des secrets, des sacrifices… et des monstres.
8ème Legacy en Argone – Eldrastor, la Terre des Réfugiés
Le vent soufflait entre les murs d’argile et de pierre, soulevant la poussière d’un sol encore marqué par les guerres passées. Eldrastor, jadis cité dévastée par les morts-vivants, renaissait lentement sous l’impulsion des survivants et des exilés. Mais l’écho des prières résonnait plus fort que les marteaux des bâtisseurs.
— "Nous avons besoin de repères, nous avons besoin de foi !" clamait un prêtre vêtu d’une longue tunique grise, bras levés vers le ciel.
Autour de lui, des dizaines d’hommes et de femmes s’étaient rassemblés. Leurs visages étaient empreints de fatigue, de tristesse… mais aussi d’une ardeur presque dangereuse.
— "Le temple de Kaïros nous offrira l’équilibre dans cette ère de chaos."
— "Celui d’Irkay purifiera cette terre des souillures d’Argone !" renchérit une prêtresse aux cheveux cendrés, son regard transperçant la foule comme une flamme vive.
Mais face à cette ferveur naissante, une ombre se dressait.
Zahraya, la Shael’Maara, assise sur son destrier d’ivoire, observait l’attroupement d’un œil sévère. Son voile de soie flottait sous la brise, et son regard noir reflétait à la fois sagesse et inflexibilité.
— "Non."
Un murmure de stupeur parcourut la foule. Les prêtres se tournèrent vers elle, choqués.
— "Comment pouvez-vous refuser ?" s’exclama l’un d’eux, avançant de quelques pas. "Vous qui avez combattu aux côtés du roi Aethel, vous qui avez prié pour la victoire d’Irkay sur les ténèbres ?"
Zahraya posa un regard tranchant sur lui.
— "J’ai prié pour la survie de mon peuple, pas pour la discorde."
Sa voix résonnait, douce et pourtant inébranlable.
— "Avez-vous oublié ce qu’il advint du temple d’Argone ? Les querelles qu’il a engendrées ? La manière dont les fidèles se sont déchirés avant même que ses murs ne s’écroulent ?"
Un silence pesant s’abattit sur la place. Certains baissèrent la tête, d’autres serraient les poings.
— "Mais nous ne parlons pas d’Argone !" protesta la prêtresse aux cheveux cendrés. "Nous parlons de Kaïros et d’Irkay, de dieux de justice et de lumière !"
Zahraya ferma les yeux un instant, comme pour contenir une tempête intérieure. Puis elle descendit lentement de son destrier, posant un pied délicat sur la terre sèche d’Eldrastor.
Elle avança jusqu’à la prêtresse et murmura :
— "Et si demain, un autre peuple réclame un temple pour Kharon ? Pour les forces que vous jugez contraires aux vôtres ? Qui décidera de ce qui est juste ?"
La prêtresse ne répondit pas, mais son regard s’emplit de doute.
— "Je ne permettrai pas que cette terre devienne un champ de bataille pour vos croyances." La voix de Zahraya s’éleva de nouveau, portée par une force indiscutable. "Eldrastor appartient à ceux qui la reconstruisent, non à ceux qui veulent la diviser."
Un silence glacial s’abattit sur l’assemblée. Certains prêtres échangèrent des regards furieux avant de tourner les talons. Un à un, ils quittèrent la place, certains abandonnant Eldrastor, d’autres rejoignant l’ombre des bâtisses où de nouveaux cultes se formaient en secret.
Liora, postée non loin, revenait de Valgor. Elle s’approcha alors de Zahraya.
— "Ils ne comprendront pas." souffla-t-elle.
Zahraya tourna légèrement la tête, un sourire triste au coin des lèvres.
— "Non." admit-elle. "Mais ils finiront par apprendre. Le temps est un temple en soi."
Liora ne put s’empêcher de sourire à son tour.
— "Kaïros apprécierait cette phrase."
Zahraya haussa un sourcil, amusée.
— "Alors qu’il prenne mon âme en offrande et nous accorde un peu de paix."
Le soleil déclinait lentement sur Eldrastor. Les ombres s’allongeaient, mais la lumière d’Irkay, même invisible, continuait de veiller sur le destin des hommes.
Les flammes des torches dansaient sous le souffle du vent, projetant des ombres mouvantes sur les pavés anciens de Valgor. L’air vibrait du son des tambours, et les rues, naguère silencieuses sous le poids de la misère, résonnaient à présent des chants et des rires d’un peuple enfin libéré.
Le roi Aethel, drapé dans une tunique d’azur et d’or, se tenait au sommet des marches du palais de pierre blanche. À ses côtés, Valhoryn Kaëdrak, le guerrier à la chevelure d’argent, fixait la foule d’un regard perçant. Plus loin, Thaldris, commandant de la garde, Liora et la Shael’Maara Zahraya formaient un cercle autour du monarque. Leurs visages portaient encore les marques des batailles passées, mais l’éclat d’Irkay brillait à nouveau sur eux.
Lorsque Aethel leva la main, un silence solennel s’abattit sur l’assemblée. Sa voix, grave et assurée, fendit la nuit comme une lame bien aiguisée.
— "Peuple de Valgor, héritiers d’une terre bénie et tourmentée, aujourd’hui marque le début d’un nouvel âge. L’ombre d’Argone a tenté de nous dévorer, la peste a voulu nous anéantir, et la trahison de Dargorn a failli nous diviser. Mais nous sommes restés debout. Nous avons saigné, mais nous n’avons pas cédé. Aujourd’hui, Valgor s’élève, non plus comme une cité isolée, mais comme un joyau de notre royaume unifié !"
Un rugissement d’approbation s’éleva de la foule, brisant la tension accumulée. Les drapeaux ornés de l’emblème d’Aethel claquèrent sous la brise printanière.
À l’arrière, Kaelen & Calon, observèrent la scène avec un sourire en coin. Kaelen glissa un regard vers Liora, la trouvant plus belle que jamais sous les reflets dorés des lanternes. Elle portait une robe couleur d’ambre, brodée de fils argentés, et ses yeux brillaient de cet éclat indomptable qui l’avait toujours distinguée.
— "Qui aurait cru que nous célébrerions cette victoire ensemble ?" murmura-t-il, s’approchant doucement.
Liora tourna la tête vers lui, un sourire esquissé au bord des lèvres.
— "Toi peut-être, Kaelen. Tu as toujours eu l’optimisme d’un poète perdu dans ses rêves."
Il haussa un sourcil, feignant l’offense.
— "Et toi, l’esprit pragmatique d’une reine avant l’heure."
Un éclat de rire franchit les lèvres de Liora avant qu’elle ne détourne le regard, le regardant sous un jour nouveau. Le temps les avait éloignés, puis réunis encore, comme deux étoiles prisonnières d’une même constellation.
Un bruit sourd résonna alors dans la grande place : le piétinement des lions et des éléphants de guerre.
Les Shael’ir apparurent, en rangs serrés, armures ornées d’insignes d’or et d’onyx. Leur arrivée fut accueillie par des acclamations. Ces cavaliers mythiques, forgés par les tempêtes du désert et les batailles du royaume, représentaient le renouveau du pouvoir militaire d’Aethel.
Zahraya, assise sur son propre destrier, scrutait la scène avec la sagesse d’une prêtresse du désert. Son regard d’ébène glissa sur Aethel, puis sur la foule. Elle savait que la victoire d’aujourd’hui n’était qu’un pas.
Elle abaissa son voile de soie avant de souffler :
— "Nous avons gagné une bataille. Mais les ombres de Dargorn ne sont pas encore dissipées."
Thaldris hocha lentement la tête.
— "Certains barbares le considèrent toujours comme leur véritable roi. Les attaques sur les routes se multiplient."
Aethel croisa les bras, fixant l’horizon lointain où les flammes des feux de camps illuminaient la nuit.
— "Qu’ils viennent. Nous avons relevé Valgor. Nous avons uni les terres. Et nous ne céderons plus rien à ceux qui vivent dans la trahison et le passé."
Un frisson parcourut l’assemblée. L’histoire des royaumes unifiés ne faisait que commencer.