La mort avançait silencieusement dans les ruelles de Skarnjoll, une ombre insaisissable s’infiltrant dans chaque chaumière, chaque échoppe, chaque recoin de la cité. La peste noire, venue des confins de Novania, s’était abattue sur la ville comme un fléau divin, frappant sans distinction, mais laissant derrière elle un sinistre constat : les Noviens tombaient en masse, foudroyés par le mal, tandis que les Lunariens, eux, semblaient en grande partie épargnés.
Dans les rues jadis grouillantes de marchands et de guerriers, il ne restait plus que des corps raidis par la maladie et des brasiers où l’on jetait les cadavres sans cérémonie. Les temples de Kharon résonnaient de prières, mais les dieux restaient silencieux. Le vent charriant l’odeur de mort murmurait une vérité cruelle : Skarnjoll appartenait désormais aux survivants, et ceux-ci étaient majoritairement lunariens.
Au sommet de la citadelle, Atanael contemplait la cité agonisante. Son regard d’acier ne vacillait pas, mais une ombre nouvelle pesait sur ses traits.
— Ce n’est pas une guerre, murmura-t-il en serrant le rebord de pierre froide. Ce n’est pas un siège… et pourtant, nous sommes vaincus.
À ses côtés, Sigvald Dornir croisa les bras, son visage buriné par le vent marqué d’une gravité nouvelle.
— La cité doit tenir. Peu importe qui peuple ses rues, Skarnjoll est le cœur battant de Novania. Si nous la laissons s’effondrer, c’est tout le royaume qui sombrera.
Atanael ferma les yeux un instant, son esprit pesant les paroles du guerrier.
— Les Lunariens sont nombreux, et ils n’oublient pas les tensions passées. Si nous ne leur offrons pas une place dans notre vision de Novania, ils bâtiront la leur, sans nous.
— Alors bâtissons ensemble, répliqua Sigvald. Mais sous notre bannière.
Un silence tendu s’installa, seulement troublé par les lointains échos des mourants. Puis Atanael se tourna vers son capitaine, son regard brûlant d’une résolution nouvelle.
— Qu’il en soit ainsi. Mais si Skarnjoll doit renaître, elle renaîtra forte. Fais venir les sages lunariens, qu’ils nous enseignent leur savoir. Fais lever une nouvelle garde, une nouvelle armée, peu importe leur sang. Skarnjoll doit survivre.
Shibaya 5 : L’Ordre Nouveau
Les cendres de la peste s’étaient à peine dissipées que déjà, la ville changeait. Là où autrefois les bannières noviennes dominaient, de nouveaux symboles apparaissaient, gravés dans la pierre et forgés dans le métal. Les traditions lunariennes s’entremêlaient à celles des Noviens, formant une société nouvelle, plus métissée, plus mystérieuse, mais aussi plus imprévisible.
Le Conseil de Fer, témoin des changements en cours, observait avec prudence cette nouvelle Skarnjoll. Certains y voyaient une trahison, d’autres une opportunité. Mais tous savaient que l’équilibre était fragile, et qu’un simple souffle pourrait faire basculer la cité vers une nouvelle ère… ou un nouvel affrontement.
Sous la lumière tamisée d’un crépuscule d’Argone, le Serpent d’Argent fendait les eaux sombres comme une bête affamée. Kaelen, capitaine au regard d’acier, se tenait fièrement à la proue, son manteau flottant dans le vent marin. Les mâts grinçaient sous la force du vent, et l'équipage chuchotait des prières discrètes : Brillendal approchait, une cité mythique aussi ancienne que les dunes du désert de Fal'Raen.
En approchant du port de Brillendal, Kaelen fut frappé par l'architecture spectrale de la ville. Les tours de pierre blanche s’élançaient vers le ciel gris, telles des sentinelles qui surveillaient la mer infinie. Les pavés humides luisaient sous la lueur vacillante des lanternes, et une odeur d’encens masquait à peine celle, plus âcre, de la maladie qui avait ravagé ces terres autrefois.
Kaelen accosta son navire avec la précision d’un artisan, et d’un geste de la main, il ordonna à son équipage de rester vigilant. Il savait que la ville, bien qu’apaisée depuis quelques années, portait toujours les stigmates de la peste noire, cette calamité surnaturelle qui avait balayé des légacies entières.
Guidé par une vieille bibliothécaire à la main tremblante, Kaelen pénétra dans les vastes archives de Brillendal. Les lieux exhalaient une odeur de parchemin ancien et de cire fondue. Au détour d’une alcôve éclairée par une unique bougie, il aperçut une silhouette penchée sur un manuscrit jauni.
« Je n’avais pas vu un tel étranger depuis longtemps dans cette cité », murmura l'homme sans lever les yeux. Sa voix, douce mais assurée, avait un accent chantant, celui des tribus nomades.
Kaelen s’approcha, intrigué. L'homme aux cheveux d'argent releva finalement la tête, dévoilait un visage marqué par la lumière du désert.
« Je suis Kaelen, capitaine du Serpent d’Argent. Je cherche des réponses sur la peste noire qui a ravagé ces terres. »
Il croisa les bras, un sourire énigmatique
« On dit que je suis Syris, mais les gens ici préfèrent m’appeler l’Exilé de Kaelar. Et toi, capitaine, qu’espères-tu trouver dans les ombres du passé ? »
Kaelen s’éclaircit la gorge, un peu déconcerté par la profondeur de son regard. « Si je pouvais comprendre ce mal, je pourrais peut-être prévenir sa résurgence ailleurs. »
Syris acquiesça, puis fit signe à un homme qui lisait à quelques pas. « Voici Lethian, mon compagnon d’études et guérisseur de Brillendal. Ensemble, nous avons vaincu cette peste, mais cela nous a coûté de longues legacies d’apprentissage… et quelques âmes. »
Lethian s’avança, tendant un parchemin roulé à Kaelen. « Ces notes sont les fruits de nos recherches. Syris a découvert que la peste n’était pas naturelle, mais l’œuvre de forces maléfiques, sans doute liées à Argone lui-même. Cela pourrait t’être utile… mais sois prudent. Chaque vérité porte son fardeau. »
Alors que Kaelen s’apprêtait à quitter Brillendal avec les précieuses informations, un homme émergea de l’ombre dans les rues pavées. Calon, robuste et le visage marqué par les vents marins, semblait pressé.
« Capitaine Kaelen ! » appela-t-il d’une voix rauque. « J’ai entendu parler de votre départ imminent. Je vous en supplie, accordez-moi passage jusqu’à Drassel. Les routes sud grouillent de pillards, je ne survivrai pas seul. »
Kaelen jaugea l’homme d’un regard perçant. Il savait que les routes au sud de Brillendal étaient infestées de bandits, des hommes sans foi ni loi qui frappaient sans avertissement. Le péril pesait aussi sur les eaux côtières qu’il s’apprêtait à naviguer.
« Mon équipage et moi ne prenons aucun passager à la légère, » déclara-t-il, sa voix aussi froide qu’une lame. « Pourquoi devrais-je te faire confiance, Calon ? »
L’homme serra les poings, désespéré. « Parce que je n’ai rien à offrir, si ce n’est ma loyauté. Mon foyer se trouve à Drassel, et je suis prêt à mourir pour le revoir. Si vous m’abandonnez ici, les pillards feront de ma vie un souvenir. »
Syris, qui avait suivi l’échange en silence, posa doucement sa main sur l’avant-bras de Kaelen.
« Les terres d’Argone ont déjà assez vu de souffrances, capitaine. Offrez-lui passage. »
Un silence tendu s’installa, seulement brisé par le lointain cri des mouettes. Kaelen finit par hocher la tête.
« Très bien. Mais sache que si tu nous trahis, les vagues d’Argone seront ton tombeau. »
Alors que le Serpent d’Argent quittait le port, Syris regarda le navire s’éloigner depuis la jetée, une ombre indéchiffrable dans ses yeux. À bord, Kaelen observait les rouleaux de parchemin offerts par Lethian et Syris, tout en surveillant Calon du coin de l’œil.
Le vent soufflait, porteur de promesses et de périls. À mesure que l’horizon se découvrait, le capitaine savait qu’il ne s’agirait pas d’un simple voyage. Argone, et tout ce qu’il symbolisait, semblait toujours prêt à réclamer son tribut.
Les ténèbres rongeaient Valgor comme une plaie infectée. Le Serpent d’Argent fendait les eaux noires, et Kaelen, capitaine aux yeux d’acier, déroulait avec gravité le parchemin des archives de Brillendal. L’encre, usée par le temps, révélait une vérité terrible : seules les fleurs d’Aetheris, poussant dans les profondeurs de Dreylorn, contenaient le remède capable de briser le Cauchemar Gris.
Mais Dreylorn n'était plus qu’un tombeau verdoyant, où l'ombre d’Argone s’attardait, où les arbres murmuraient les noms des âmes perdues.
Le retour de Calon à Drassel – Un passé mort
Le navire accosta sur les berges brumeuses de Drassel, où Calon posa un pied hésitant. Mais il n’y avait rien. Pas de foyer, pas de mère à accueillir son retour, pas même une tombe à fleurir. Le silence pesait comme un linceul sur ce qui fut jadis sa terre.
Kaelen posa une main sur son épaule. « Il n’y a rien à retrouver ici, mais il y a encore un avenir à bâtir. »
Calon redressa le menton, la mâchoire serrée. Il n’était plus un simple fermier. Plus un fils, plus un ami. Il était un survivant. Et un survivant devait avancer.
« Je vais avec toi, capitaine. Je te jure fidélité et loyauté. »
Kaelen acquiesça. La mer les attendait encore.
La forêt de Dreylorn n’était plus qu’une ruine vivante, un labyrinthe de racines torsadées et de brumes verdâtres. Des silhouettes s’agitaient dans l’ombre, errant entre les troncs noircis – des âmes piégées par la corruption d’Argone.
Kaelen et Calon progressaient prudemment, fouillant le sous-bois à la recherche des fleurs d’Aetheris, ces pétales d’un bleu irisé qui, selon les textes, ne poussaient qu’au contact de la lumière pure.
C’est alors qu’ils la virent.
Ilana.
Une silhouette drapée de tissus de lin, ses cheveux noués en une natte défiante, agenouillée près d’un corps fiévreux. Sa main fine passait sur le front d’un homme au regard brûlant.
Kaelhor Arath’Zem.
Son armure de cuir était lacérée, et des veines noires couraient le long de son cou. Il portait en lui la marque du Cauchemar Gris.
Ilana leva les yeux vers eux, alerte. « Vous ne devriez pas être ici. Dreylorn est perdu. »
Kaelen s’approcha, posant un genou à terre. « Valgor le sera aussi, si nous ne trouvons pas ces fleurs. »
À ces mots, Ilana tressaillit. Kaelhor, malgré sa fièvre, releva la tête.
« Valgor est… condamné ? »
Kaelen hocha la tête.
« Pas si nous agissons vite. »
Un silence tendu s'installa. Puis, enfin, Ilana murmura :
« J’ai ce qu’il vous faut… Mais nous voulons partir. Si vous nous emmenez avec vous, je préparerai le remède sur votre navire. »
Kaelen échangea un regard avec Calon. Dreylorn était une prison sans espoir. L’offre était juste.
« Montez à bord. Nous quittons cette terre maudite. »
Le Serpent d’Argent leva l’ancre dans une précipitation fiévreuse. Derrière eux, les morts s’éveillaient. Dreylorn rejetait les vivants comme un corps expulsant une écharde.
Kaelen tenait fermement la barre, sentant la mer se cabrer sous la menace d’une tempête. Ilana, dans la cale, broyait les pétales d’Aetheris en une poudre scintillante.
« Il faut atteindre Valgor avant que la maladie ne le consume. »
Kaelhor, le regard durci, s’approcha de Kaelen.
« Si nous réussissons… je te devrai une dette. »
Kaelen sourit.
« Alors assure-toi que nous réussissons. »
La mer s’ouvrit devant eux, et derrière, l’ombre d’Argone rugissait, frustrée de les voir s’échapper.
Leur course contre la mort ne faisait que commencer.
Le Serpent d’Argent fendait la mer en une course effrénée contre la mort elle-même. Les vents portaient l’odeur du sel et des cendres, car au loin, les hautes murailles de Valgor se dessinaient sous une lueur spectrale.
Valgor, autrefois cité d’opulence et de lumière, n’était plus qu’une forteresse livide, enserrée par un brouillard épais et malsain. Des feux pâles luisaient derrière les murailles, mais ce n’étaient pas les flammes de la vie—c’étaient les lueurs maladives de foyers funéraires, consumant les corps frappés par le Cauchemar Gris.
Sur le pont, Kaelen resserra sa prise sur le gouvernail. Ilana, à ses côtés, tenait fermement une sacoche remplie du précieux remède d’Aetheris. Calon et Kaelhor observaient l’horizon avec un mélange de tension et d’espoir.
— « Nous devons atteindre le palais avant que la maladie n’engloutisse la cité. » déclara Kaelen, le regard dur.
La mer grondait sous la coque du navire, comme si elle-même redoutait d’accoster sur cette terre souillée.
Les quais de Valgor étaient déserts. Pas de dockers, pas de marchands, pas d’enfants courant sur les pavés humides. Un silence de mort régnait sur la cité.
Kaelen sauta à terre, le sabre au côté, suivi de ses compagnons. Chaque rue semblait les épier. Des volets clos, des portes barricadées… et au loin, les échos lugubres de prières murmurées dans le vent.
Puis, un mouvement.
Une silhouette encapuchonnée surgit d’une ruelle obscure. Liora. La célèbre espionne du roi Aethel glissa dans l’ombre comme une lame affûtée, ses yeux d’or brillant sous son capuchon de cuir.
— « Vous êtes plus fous que je ne l’imaginais, capitaine. » souffla-t-elle en les toisant. « Valgor n’accueille plus les vivants… Seuls les damnés y demeurent. »
Kaelen croisa les bras.
— « Et pourtant, toi aussi, tu es encore là. »
Un sourire en coin étira les lèvres de Liora.
— « Le roi Aethel est en vie. Mais pour combien de temps, je ne saurais dire… Il vous attend. »
Sans un mot de plus, elle leur fit signe de la suivre à travers les venelles sombres.
Les portes du palais de Valgor se dressaient comme une ultime barrière contre l’agonie. Autour, des gardes épuisés, amaigris, les visages creusés par l’insomnie et la peur.
Dans la grande salle du trône, Aethel se tenait droit, tel un monarque défiant la mort. Ses traits étaient marqués par les épreuves, mais son regard n’avait rien perdu de sa détermination.
— « Vous avez le remède ? »
Kaelen jeta un regard à Ilana, qui hocha la tête en serrant sa sacoche.
— « Oui, mais il faut l’administrer vite. Les pétales d’Aetheris perdent leur puissance après quelques jours. »
Le roi Aethel inspira profondément.
— « Alors nous n’avons pas de temps à perdre. »
Il se tourna vers Liora.
— « Fais porter le message à tous les quartiers de la cité. Réunissez les guérisseurs, les herboristes, tous ceux qui ont encore assez de force pour nous aider. »
Liora hocha la tête et disparut dans l’ombre.
Les heures qui suivirent furent un ballet entre la vie et la mort. La mixture fut diluée dans l'eau à destination de la population. Les puits ainsi purifiés étaient alors le remède inespéré.
Dans les temples, les prêtres administraient le remède aux mourants, broyant les fleurs sacrées et les mélangeant à l’eau bénite des fontaines. Dans les rues, Ilana et Kaelhor distribuaient les doses aux familles barricadées dans leurs demeures, bravant les pestiférés pour leur offrir une chance de survivre.
Kaelen et Calon, armés de torches et de sabres, protégeaient les guérisseurs des derniers serviteurs d’Argone, ces malheureux dont l’esprit avait été brisé par la maladie et qui s’étaient livrés à la folie.
Peu à peu, la fièvre qui consumait Valgor reflua. Les gémissements s’apaisèrent, les corps cessèrent de trembler. Une lueur d’espoir, infime mais réelle, brilla de nouveau sur la cité en ruine.
Lorsque l’aube teinta le ciel de ses premières lueurs, Aethel, le regard fatigué mais fier, posa une main sur l’épaule de Kaelen.
— « Valgor vous doit une dette, capitaine. Vous avez rendu à cette ville ce que les dieux eux-mêmes semblaient vouloir lui retirer. »
Kaelen esquissa un sourire fatigué.
— « La mer m’a appris que rien n’est jamais perdu tant qu’il reste un souffle de vie. »
Mais au fond de lui, il savait que la guerre contre Argone ne faisait que commencer. Ce n’était qu’une victoire, et les ombres continuaient de rôder.
Dans la lumière fragile du matin, le Serpent d’Argent attendait, bercé par les vagues. D’autres batailles les attendaient au-delà de l’horizon.
La cinquième Legacy de Shael'thor fut une époque de doutes et de fracas, où la victoire se mesurait en larmes et en cendres. Le soleil d'Irkay peinait à percer les brumes funestes qui pesaient sur Eldrastor, où les morts-marchants, silhouettes d'ombre et d'os, revenaient hanter les ruines qu'ils avaient jadis laissées.
Dès les premières semaines, les clairons de l’angoisse retentirent : les morts s’éveillaient de nouveau. Dans les ruelles étouffées par la crainte, des messes murmurées invoquaient Argone, dieu de l’obscurité, comme un dernier espoir.
— Si nous lui offrons un temple, il nous épargnera, murmurait un vieillard au regard creusé par la peur.
— Folie ! rétorqua une jeune femme aux couleurs d’Irkay. La vénération du traître nous condamnera tous !
Le débat enfla en un tumulte insidieux, divisant les cœurs, dressant des familles contre elles-mêmes. La Shael'Maara Zahraya, informée, comprit que la force seule ne suffirait pas à étouffer l’incendie de la discorde. Il fallait une ruse, un dessein qui équilibrerait la peur et la raison.
Dans la saison d’Irkay, elle rassembla ses bâtisseurs et ses prêtres autour d’un projet désespéré : une fosse commune, sanctuaire des défunts, scellée par des runes gravées dans la pierre. Ce tombeau aux dimensions colossales serait un rempart spirituel contre l’influence corruptrice d’Argone.
— Nous donnerons à nos morts un repos véritable, déclara-t-elle en caressant les pierres gravées de symboles lumineux. Plus jamais ils ne marcheront sous un ciel maudit.
La Fosse des Âmes fut bénie dans le chant solennel des prêtres d’Irkay, et la terre s’enroula autour des corps en un linceul protecteur. Pourtant, la menace persistait.
Aussi, Zahraya, dans un calcul risqué, décida d’offrir à Argone un temple… mais non pas comme lieu de vénération. Les pierres noires de Dreylorn — maudites, chargées de l’essence du mal — serviraient à contenir la corruption. Un temple serait érigé, non en hommage, mais en prison. Des profondeurs des catacombes d'Eldrastor, surgit alors un homme mystérieux émacié se réclamant prêtre d'Argone auprès de la Shael'Maara. Il se faisait appelé Thar'Zul
Le roi Aethel, informé, marcha sur Eldrastor durant la saison de Shibaya, lames saintes en main. La bataille fut une cacophonie d’acier et de cris. Les morts, guidés par l’ombre, se brisèrent sur les remparts d’Aethel, repoussés par la fureur et la lumière. Dans la poussière du crépuscule, Zahraya vit la fin du combat : un répit chèrement payé.
L’aube suivante vit les fondations du temple s’ancrer dans la terre. Sombre et menaçant, il se dressa comme un avertissement.
— Est-ce une victoire ? demanda un bâtisseur en contemplant l’ouvrage ténébreux.
— Non, murmura Zahraya, le regard perdu au loin. Ce n’est qu’un sursis.
Eldrastor, libérée mais brisée, devint une terre de défiance. Entre ceux qui vénéraient Argone et ceux qui s’y opposaient, un mur invisible se dressa, plus solide encore que celui du temple.
Ainsi s’acheva la cinquième Legacy de Shael’thor, un équilibre fragile entre le fer, le sang et la prière.
Tandis qu’Eldrastor sombrait sous la menace des morts-vivants, Valgor, la capitale militaire de Shael’thor, demeurait une forteresse inébranlable. Nichée entre les marais de Solvor et le désert de Valdoros, la cité se dressait tel un rempart contre le chaos du monde extérieur. Ses murailles, sculptées par des siècles de batailles et de conquêtes, renfermaient un havre de paix où régnait un ordre implacable.
Les pavés résonnaient sous les bottes des sentinelles qui arpentaient les rues, veillant jour et nuit sur les habitants. Les bannières dorées de Shael’thor flottaient dans le vent tiède de Shibaya, marquant l’aube d’un renouveau.
Ce fut en cette saison bénie qu’un projet ambitieux prit forme : l’inauguration d’une écurie sans pareille, conçue pour accueillir les bêtes les plus majestueuses et redoutables du royaume. Dans une vaste enceinte de pierre et de bois ouvragé, des palefreniers s’affairaient autour d’éléphants de guerre aux défenses d’ivoire et de lions dressés pour la bataille. Ces créatures sacrées, jadis dispersées dans les terres sauvages, trouvaient enfin un sanctuaire digne de leur grandeur.
L’inauguration des écuries attira l’attention de voyageurs venus des quatre coins de l’archipel, mais surtout celle d’un peuple en exil : les Noviens.
Parmi eux se trouvait Valhoryn Kaëdrak, un vétéran de la guerre, au regard aussi acéré que sa lame. Ce guerrier au port altier descendit de sa monture, scrutant les remparts de Valgor avec une admiration silencieuse. Autour de lui, une centaine de colons noviens avançaient en procession, portant avec eux leurs traditions, leurs chevaux robustes et leurs talents d’éleveurs.
À l’entrée de la ville, le capitaine Thaldris Varayn, commandant de la garde de Valgor, les attendait de pied ferme.
— "Je vois que la réputation de Valgor a franchi les mers." Sa voix, grave et mesurée, brisa le silence.
Valhoryn s’inclina légèrement en signe de respect.
— "Nous cherchons un foyer… et nous avons entendu que Valgor ouvre ses portes aux braves."
Thaldris l’observa un instant, jaugeant l’homme et sa détermination.
— "Un foyer, peut-être. Une opportunité, sûrement. Mais Valgor n’accorde sa protection qu’à ceux qui la méritent."
Un sourire en coin se dessina sur les lèvres de Valhoryn.
— "Alors laissez-nous prouver notre valeur."
C’est ainsi que les Noviens furent acceptés dans la cité, apportant avec eux des savoir-faire uniques en matière d’élevage et de dressage mais pas que ...
Au matin d’Irkay, sous le chant naissant des cigales et les cendres encore tièdes du passé.
La brume effleurait les murs à peine relevés de la cité, tandis que les cornes du renouveau sonnaient depuis les hautes tours de guet. Dans la grande cour d’entraînement — sanctuaire de poussière sacrée, encerclée par les totems sculptés dans les os fossiles des anciens dragons — Valhoryn Kaedrak avançait, cape rougeoyante des guerriers noviens d'élite, battant les hanches, armé de silence et de savoir.
Ses yeux d’ambre luisaient d’une lueur intérieure, le regard à la fois doux et perçant, comme s’il scrutait les âmes à travers la chair.
Face à lui, alignés tels des statues vivantes, les Drav'Karyn, l'élite martiale de Valgor.
Des hommes et des femmes de fer et de feu, forgés dans la guerre, menés par le Commandant Thaldris, figure massive au torse ceint d’une armure gravée de lions. Il s’avança d’un pas ferme, la mâchoire serrée, l’autorité brûlant dans ses prunelles.
— "Valhoryn Kaedrak. Ce que tu proposes dépasse les limites de l'entraînement. C’est de l’alchimie d’âme, de la magie de vie et de mort. Et pourtant…"
Il balaya son bataillon du regard.
— "Mes guerriers sont prêts à tout pour défendre Valgor."
Valhoryn acquiesça lentement, puis répondit d’une voix grave et sereine, comme le chant d’un ruisseau souterrain :
— "Alors ils doivent être prêts à mourir. Car ce rituel n'est pas un don... c'est une renaissance. Et toute renaissance passe par la cendre."
Il fit un geste ample de la main, et la terre elle-même sembla frémir. Du sol jaillirent six cercles de pierre, marqués chacun par un glyphe vivant : des symboles mouvants, animaux, anciens. L’un d’eux — un lion rugissant — brillait plus fort que les autres.
— "Voici le Ryth Var’Shal, le Rite du Cœur Bestial."
Les Drav'Karyn échangèrent des regards furtifs. Valhoryn fit un pas vers eux, sa voix prenant des accents rauques, presque incantatoires :
— "Vous entrerez dans le cercle. Nu(e)s, sans armes, sans prières. Vos peurs seront vos chaînes. Vos souvenirs, vos poisons. Le lion ne vous sera offert que si vous l’apprivoisez en vous. Car ce n’est pas un fauve extérieur que vous combattrez, mais le vôtre."
— "Et ceux qui échouent ?" demanda une voix, rauque, féminine. C’était Yskara, la plus jeune des Drav’Karyn, au regard de silex et à la crinière sombre tressée de crocs de vautour.
Valhoryn se tourna vers elle, un souffle de tristesse voilant ses traits :
— "Ils ne reviennent pas. Ou s’ils reviennent, ce n’est plus en tant qu’humains. Certains deviennent des bêtes sans mémoire, condamnés à rôder dans les dunes. D’autres... ne laissent que la pierre refroidie derrière eux."
Un silence de plomb suivit.
Thaldris posa la main sur l’épaule d’Yskara, puis s’avança à son tour.
— "Je serai le premier. Si je tombe, que les Drav'Karyn prennent ma place avec honneur."
Valhoryn inclina la tête.
La cérémonie débuta au crépuscule.
Autour des cercles, les Noviens invoquaient les chants du Kural’Thiin, leur langue sacrée, tandis que les Drav'Karyn déposaient leurs armures, un à un. Le feu crépitait, projetant des ombres félines sur les murs de la cité.
Thaldris entra dans le cercle.
La pierre s’illumina. Le glyphe du lion s’enroula autour de lui comme un serpent de lumière.
Valhoryn, les bras levés, psalmodia :
— "Ô Shibaya, mère du renouveau, tisse la crinière de lumière en celui qui offre son corps, sa force, sa loyauté. Qu’il devienne le frère du lion, le rugissement du destin."
Puis, le silence.
Et le rugissement.
Thaldris hurla, se cambra. Sa peau se déchira, son ossature se tordit — une métamorphose ignée et douloureuse, comme si la bête en lui dévorait son humanité.
Puis, dans un éclair, il retomba à quatre pattes, le corps entièrement couvert d’un pelage doré. Ses yeux d’acier s’étaient mués en prunelles d’or incandescent.
Un lion. Immense.
Et derrière lui, l’un des grands fauves de la jungle surgit des ombres. Il s’inclina devant la créature que Thaldris était devenu.
Le pacte avait été scellé.
Un à un, les Drav’Karyn entrèrent dans le cercle. Tous ne survécurent pas. Certains crièrent jusqu’à perdre la raison. D’autres tombèrent, le souffle arraché à jamais. Mais ceux qui réussirent, naquirent une seconde fois :
Les Shael’ir.
Ils chevauchèrent les lions de Shibaya. Ils pouvaient se fondre en eux, devenir griffes et crocs, rugir dans la nuit, et se relever à l’aube comme des hommes de chair et d’honneur.
Plus tard, au sommet d’une tour, Valhoryn observa les nouveaux Shael’ir s’entraîner et s'adressa à Thaldris :
— "Tu comprends, maintenant. Ce n’est pas un sort. Ce n’est pas un pouvoir. C’est une vérité. Celle que nous sommes tous nés bêtes… et que seuls les plus braves osent s’en souvenir."
Et dans le lointain, la jungle chantait, les lions veillaient…
Et Valgor, en silence, renaissait.
Ils transformèrent rapidement les nouvelles écuries en un centre névralgique d’apprentissage et d’innovation, fusionnant leur science des montures avec les traditions guerrières des Shael’thariens.
Le jour de leur première cérémonie, la grande place de la ville fut envahie par la foule. Sur une estrade de pierre, le Shael'Maara Zahraya observa avec fierté les guerriers fraîchement adoubés. Leur armure finement ciselée reflétait la lueur du soleil couchant sur une tête de lion rugissant, et leurs bêtes, dressées à la perfection, rugirent en réponse aux acclamations du peuple.
— "Aujourd’hui," déclara Zahraya, sa voix résonnant à travers la place, "nous scellons l’union entre Valgor et nos frères Noviens. Ensemble, nous forgerons un avenir où plus aucun envahisseur ne pourra nous briser. Que les Shael’Ir portent haut l’honneur de notre royaume !"
Le serment des cavaliers sacrés s’éleva dans les cieux, tandis que les tambours de guerre résonnaient, annonçant une ère nouvelle pour Valgor.
Ainsi, au cœur de cette Legacy 5, alors qu’Eldrastor se débattait dans l’ombre, Valgor s’éleva comme un bastion de lumière et de renouveau, prête à affronter les tempêtes à venir.